Margaret Thatcher introduit le Secrétaire des affaires étrangères, Lord Carrington, au président des États-Unis Jimmy Carter, décembre 1979

LA PROPOSITION DE MARGARET THATCHER

par PHI-VÂN NGUYEN

traduction libre par  SIMON BOILY

janvier 2020


Le conflit entre le Vietnam et la Chine n’était pas terminé. De plus, la crise des réfugiés empirait chaque jour. Il ne semblait pas avoir de fin à la crise. Cependant, deux mois plus tard, 65 états se rencontrèrent en une conférence majeure sur les réfugiés de l’Asie du Sud-Est. D’où vint cette idée ?

La lettre de Waldheim ne suggérait pas l’organisation d’une conférence. Ce fut une réponse à cette lettre, que Margaret Thatcher, la première ministre récemment élue du Royaume-Uni, proposa cette nouvelle idée. La meilleure façon de résoudre la crise était de convoquer une conférence internationale.

Une partisane de la ligne dure à la tête du Royaume-Uni

Initialement, le Royaume-Uni prit part à la crise des réfugiés en tant que pays d’accueil. Pendant la rencontre consultative de décembre, le représentant anglais considéra que la guerre et la pauvreté étaient les raisons principales pour le départ des réfugiés. Plus de pays avaient besoin de participer aux efforts d’accueils. Il reconnut la nécessité de réduire la pauvreté dans la région. Seule cette action pourrait fournir une solution durable à l’afflux de population.1 Quelque semaines plus tard, Londres réagit à l’invasion vietnamienne du Cambodge. Le Royaume-Uni, en guise de réponse, retira toute aide humanitaire future au pays. Cependant, les élections du 3 mai 1979 changèrent à leur tour cette position.

Une fois devenue première ministre, la crise des réfugiés ne serait pas une exception à cette politique. Thatcher se servit du même argument lorsqu’elle expliqua pourquoi Londres n’accepterait pas plus de réfugiés venant de la région. C’était une petite contribution en comparaison avec les centaines de milliers que les États-Unis et la France protégèrent pendant cette période.2 Mais deux millions d’immigrants asiatiques étaient déjà venus au pays lors des quinze dernières années.3 Par conséquent, le Royaume-Uni ne pouvait pas ouvrir ses portes aux réfugiés de l’Asie du Sud-Est.

La raison pour laquelle il était si important de protéger le Royaume-Uni de possibles arrivées, se trouvait dans le fait que des bateaux se dirigeaient sur Hong Kong. Londres reçut des messages de bateaux britanniques dans la mer de Chine. Certains n’étaient pas sûrs de savoir s’ils devaient porter secours aux réfugiés. L’un d’entre eux tenta de s’arrêter au port d’escale le plus proche à Taïwan. Mais la République de Chine allait adopter la même stratégie que l’Indonésie et la Malaisie. Que Taïwan pût prendre une telle position signifiait deux choses. Les embarcations britanniques auraient moins de ports où débarquer, et tous les bateaux dans la région se dirigeraient à Hong Kong.4 Ce territoire était dans une situation ambigüe. Tant que le territoire n’était pas rendu à la Chine, Londres serait responsable du sort de ces réfugiés. Et Thatcher savait que l’opinion publique n’accepterait jamais que le Royaume-Uni repousse des réfugiés en haute mer comme l’avait fait l’Indonésie et la Malaisie,.5

Peu de temps après son élection, Margaret Thatcher imagina plusieurs options pour la politique envers les réfugiés de l’Asie du Sud-Est. Le pays pourrait se retirer de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il pourrait donner l’ordre aux bateaux portant le drapeau britannique de se rendre au port d’escale le plus proche s’ils portaient secours à des “boat people” en haute mer. Les bateaux y resteraient jusqu’à ce que les passagers pourraient débarquer.6 Londres n’enverrait pas cette population en Grande-Bretagne. C’est le refus d’assumer une plus grande responsabilité dans cette crise humanitaire humanitaire qui inspira sa réponse à l’appel de Kurt Waldheim pour de plus grandes contributions.

Proposition au Secrétaire Général des Nations Unies

Lorsque Kurt Waldheim demanda aux états d’augmenter leur contribution financière au HCR et leurs quotas d’accueils le 24 mai 1979, Thatcher n’annonça pas plus de places d’accueils ou de financement. Elle choisit plutôt une réponse ferme. Les pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est n’étaient pas les seuls qui faisaient face à un fardeau injuste. Hong Kong aussi était submergé par le nombre de nouvelles arrivées. En outre, le territoire ne recevait pas d’aide venant d’autres gouvernements.7 Le Royaume-Uni incarnait un nouveau rôle. Il n’était pas, comme les autres pays d’Occident, une terre d’accueil. En effet, Londres était aussi une victime de la crise à cause de sa souveraineté sur Hong Kong. 

La situation résultant des actions inhumaines du Vietnam est si grave que je suis convaincue qu'une autre conférence d'états membres des Nations Unies devrait être organisée sous l'autorité de votre haute fonction.

Thatcher maintint que les Nations Unies devaient entreprendre une action immédiate. Demander plus de places d’accueils ou de contributions financières était inutile. Les Nations Unies devaient s’attaquer au coeur du problème “La situation résultant des actions inhumaines du Vietnam est si grave que je suis convaincue qu’une autre conférence d’états membres des Nations Unies devrait être organisée sous l’autorité de votre haute fonction.”8 En mentionnant ni les contributions futures ou présentes du Royaume-Uni, elle insista sur le fait que l’appel du Secrétaire général devrait se “traduire en action. Cette conférence spéciale bénéficiera de notre plein support.”9

D’après le Royaume-Uni, la solution comportait deux composantes. Premièrement, de nouveaux états devaient offrir des places d’accueils. Le représentant permanent du Royaume-Uni aux Nations Unies, M. James Murray appela le HCR pour expliquer plus en détail ce que la Grande-Bretagne espérait accomplir. Une conférence amènerait plus de pays à se joindre à la réponse multilatérale de la crise. Ils fourniraient des places d’accueils, ou au moins des contributions financières. De cette manière, les états de l’Amérique latine et d’autres pays qui manquaient de ressources pourraient aussi accueillir des réfugiés.

Deuxièmement, une conférence internationale devrait désigner le coupable de la crise. Londres souligna ce point lorsqu’il expliqua à l’ONU l’objectif de la conférence. Les représentants britanniques insistèrent pour que le Vietnam soit présent à la conférence. “[C]’est après tout la faute du gouvernement vietnamien si la communauté internationale doit faire face à cet épouvantable problème humanitaire.”10 La crise était grave et demandait une action rapide. Thatcher ne mâcha pas ses mots. Lors d’une rencontre en personne avec Waldheim, elle martela cette idée. Elle déclara que “Le Vietnam devrait être mis au pilori.”11 Ce raisonnement ne vint pas d’une préoccupation britannique pour les intérêts chinois. En effet, la relation entre le Royaume-Uni et la Chine n’était pas aussi solide que celle que cette dernière avait établie avec les États-Unis. Hong Kong demeura une issue contestée entre Margaret Thatcher et Deng Xiaoping. La distanciation relative des priorités chinoises ne signifiait pas pourtant que Londres était ravi de l’invasion vietnamienne du Cambodge. Singapour fut un partenaire clé pour Thatcher, notamment pour faire une lecture de la situation géopolitique. Lors de sa visite au Royaume-Uni, Lee Kwon Yew stipula que la situation dérivait de la détermination de Moscou à tourner les états de l’Asie du Sud-Est contre Pékin. Pendant plusieurs années, la propagande soviétique prévenait ces états que leurs communautés d’origines chinoises étaient dangereuses. Elles pourraient se soulever afin de devenir le cinquième pilier de Pékin. Le fait que le Vietnam “exportait” des personnes d’origines chinoises aux pays avoisinants contribuait à la peur que Moscou voulait stimuler.

Réserves du Secrétaire Général des Nations Unies

Dans un télégramme, Kurt Waldheim accusa réception de la lettre et remercia la première ministre pour sa proposition, tout en expliquant que toute conférence exigeait une préparation minutieuse.12 Deux jours plus tard, lors d’une conversation téléphonique, Poul Hartling maintint que Wadlheim ne devrait pas prendre de décision hâtive. D’après son expérience, combiner des problèmes politiques et humanitaires comportait un risque considérable. “Si l’on avait l’intention de convoquer une conférence avec tous les états membres, cette dernière impliquerait un caractère politique (…) Si l’intention était de faire appel à un nombre limité de gouvernements afin de considérer le problème des réfugiés de l’Indochine il faudrait se rappeler que le HCR – en décembre 1978 – convoqua une consultation sur le sujet.”13 Tout le problème se résumait dans les propos du Haut Commissaire. Alors qu’une seule conférence semblait adéquate en théorie, il était difficile de faire d’une pierre deux coups.

Si l'on avait l'intention de convoquer une conférence avec tous les états membres, cette dernière impliquerait un caractère politique (...) Si l'iontention était de faire appel à un nombre limité de gouvernements afin de considérer le problème des réfugiés de l'Indochine il faudrait se rappeler que le HCR - en décembre 1978 - convoqua une coinsultation sur le sujet.


CE QUI SUIT


References

  1. UNHCR/F11/2/39_391_39d ‘Draft Summary Report, Consultative Meeting With Interested Governments on Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Geneva 11-12 December 1978,’ § 64–68.
  2. Margaret Thatcher Foundation/PREM19/129 f269. “Vietnam: Home Office Letter to No.10 (“refugees From Vietnam”), 29 May 1979.”
  3. Margaret Thatcher Foundation/PREM19/28. “G7: Tokyo Summit (Session 2), 28 June 1979.”
  4. Margaret Thatcher Foundation/PREM19/129 f269. “Vietnam: Home Office Letter to No.10 (“refugees From Vietnam”), 29 May 1979.”
  5. Pour voir l’anticipation du cabinet de la critique croissante de la presse sur le manque d’engagement de Londres en fonction des réfugiés de l’Asie du Sud-Est, voir Margaret Thatcher Foundation/PREM19/129 f124. “Vietnam: No.10 Record of Telephone Conversations (Mt-Whitelaw, Mt-Carrington), 4 June 1979.”
  6. Taylor, B. (2015). Refugees, Ghost Ships, and Thatcher. Retrieved 16 January 2020, http://www.historyworkshop.org.uk/ghostships/.
  7. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. Letter to Secretary General from British Prime Minister Margaret Thatcher, 31 May 1978.
  8. Ibid.
  9. Ibid.
  10. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. Text of phone conversation between UK Permanent Representative Sir James Murray and the HiCom, 5 June 1979.
  11. UN/Kurt Waldheim Files/ S-0990/ 0005/07. “Note on a Meeting With Prime Minister Thatcher, 12 July 1979.”
  12. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. Reply of 4 June by Secretary-General to British Prime Minister.
  13. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. Memorandum on Mrs. Thatcher’s Letter of 31 May to the Secretary-General, 6 June 1979.