UNHCR_11_2_39-391_39[c]page152DecConsultationsCropped

LES CONSULTATIONS DE DÉCEMBRE 1978

par PHI-VÂN NGUYEN

traduction libre par  SIMON BOILY

janvier 2020


L’incident du Hai Hong se révéla un problème majeur dans la protection internationale des réfugiés. Des contrebandiers prétendirent que leurs bateaux et leurs équipages étaient en détresse. Les états avoisinants découvrirent cette machination. Lorsqu’ils furent confrontés à cette situation, ils fournirent de l’aide humanitaire à bord des bateaux, mais refusèrent d’accepter le débarquement des passagers. Dans ce contexte, le représentant régional du HCR en Malaisie prit une position ferme. Il déclara que tous les passagers étaient des réfugiés. De nouvelles questions découlèrent de cette impasse. Les gens qui avaient eu recours à des réseaux de trafiquants pour quitter leur pays devraient-ils être considérés comme des réfugiés ? Comment le HCR et les états pourraient-ils protéger ces personnes ? Trente-neuf états se réunirent pour une rencontre à des fins consultatifs en décembre 1978. Cette rencontre souligna la nature interdépendante de la protection des réfugiés et établit une première réponse à la crise.

 

Le HCR lance un appel pour une rencontre consultative

À l’origine, le HCR n’avait pas organisé cette rencontre pour aborder les problèmes soulevés par l’incident du Hai Hong. Son comité exécutif se rencontra pour sa 29e session en octobre 1978. Les membres recommandèrent que les partis concernés par la crise des réfugiés en Asie du Sud-Est se rencontrent pour des consultations. Cette réunion se déroulerait du 11 au 12 décembre 1978 à Genève. L’incident du Hai Hong, toutefois, influença fortement le déroulement de cette rencontre.

L’incident reçut l’attention des médias le 10 novembre. Poul Hartling, le Haut Commissaire pour les réfugiés, se servit de cette opportunité pour inspirer une plus grande mobilisation. Le 13 novembre, il fit une déclaration lors du troisième comité de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il exhorta l’Assemblée Générale à lancer un appel aux états membres pour qu’ils contribuent à la résolution de la crise. Il stipula qu’il fallait porter secours à tous les réfugiés, y compris ceux de l’Afrique et de l’Amérique latine. Il maintint pourtant que la crise des “boat people” en Asie du Sud-Est nécessitait une approche globale. Les pays avoisinants et ceux responsables de l’accueil, devaient coordonner leur action. “Il est évident que la vitesse des accueils a un impact sur la capacité des pays dans la région à accepter de nouvelles arrivées et sur le développement d’opportunités locales pour l’autosuffisance (…)”1 Le manque de coordination et de confiance avait mené certains pays à ignorer les appels de secours de vaisseaux. La rencontre pourrait donc traiter du problème de l’asile et du secours en mer.

Le discours du Haut Commissaire au troisième comité de l’Assemblée Générale eut un impact. Par la suite, l’Assemblée Générale passa une résolution basée sur le rapport du troisième comité. L’Assemblée exhorta les états de “continuer à faciliter le travail du Haut Commissaire.”2 Cette résolution n’énonçait pas la mise en priorité d’une crise plus que l’autre. Mais Poul Hartling n’hésita pas à souligner son importance sur la rencontre consultative portqnt sur l’Asie du Sud-Est.

Une note d’information et un agenda pour la rencontre

Le jour où l’Assemblée Générale passa cette résolution, Hartling envoya une note aux parties participantes. Le texte établit les informations de base de la situation et l’agenda de la rencontre.3 La situation était urgente. Elle nécessitait une réponse coordonnée et devait faire face au problème des navires en détresse.

Le taux de départs accélérait à ce moment. Les chiffres d’accueils ne pouvaient pas garder le pas avec cette augmentation, ceci créa un retard important. Puisqu’il n’y avait pas la garantie de créer de nouvelles places d’accueils, les états de l’Asie du Sud-Est devinrent réticents à donner l’asile.

Le Haut Commissaire exposa premièrement ce qu’il appelait des “cas de terre.” Depuis 1975, presque 200 000 personnes étaient arrivées en Thaïlande. Cependant, 30% de ces personnes furent accueillies dans des pays tiers, principalement la France et les États-Unis. Les “cas de terre” arrivant au Vietnam n’étaient pas plus chanceux. D’après les estimations des autorités vietnamiennes, 150 000 personnes étaient arrivées du Kampuchéa démocratique.

Cas de terre 1975 1976 1977 1978 jusqu'au 31 octobre. Total cumulatif
Arrivées
77 169
32 931
31 214
51 378
192 692
Départs
12 755
22 859
10 936
17 271
63 821
Cas restants
64 414
74 486
94 764
128 871

Les “cas de mer” connaissaient un retard majeur. Les statistiques du HCR jusqu’à la mi-octobre 1978 mentionnaient que des 34 855 arrivées, seuls dix pour cent avaient été accueillis par des pays tiers. De plus, le taux de nouvelles arrivées avait augmenté depuis septembre 1978. En termes absolus, ces cas étaient moins nombreux que les “cas de terre.” Mais, l’accélération plus rapide rendait les “cas de mer” particulièrement préoccupants.

Cas de mer Août 75/76 1977 1978 jusqu'au 31 octobre Total cumulatif Non acceptés le 31 octobre
Australie
111
861
663
1635
Hong Kong
196
1007
4956
6159
3546
Indonésie
244
679
2458
3381
1623
Japon
348
851
678
1877
636
Malaisie
1157
5817
33 172
40 146
23 532
Philippines
712
1153
2443
4308
2130
Singapour
121
308
1611
2040
847
Thaïlande
2699
4536
4599
11 834
1684
17 autres pays (tous sous le socle de 350)
37
452
853
1342
205
Totale des arrivées
5625
15 664
51 433
72 722
34 203
Départs
2332
9571
22 952
34 855
Restants
3293
9386
37 867 (dont 3664 sont acceptés)

Le problème principal d’après le Haut Commissaire était la question de l’asile temporaire. Poul Hartling suggéra que les états de l’Asie du Sud-Est ne pouvaient pas demeurer indifférents. Le fait de fournir de l’aide humanitaire à bord des bateaux puis de les escorter au large constituait un problème majeur. Il était cependant impossible de considérer l’asile temporaire et permanent de manière séparée. Les deux se devaient d’être pris ensemble.

La note d’information du HCR souligna certains sujets de conversation importants. Elle fit aussi une déclaration ferme sur le besoin impératif de trouver une solution. Le contexte qui avait mené au déplacement de ces personnes était très politique. Afin de trouver des résultats, la rencontre se concentrerait sur la dimension humanitaire de la crise. En soulignant la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies, on rappelait aussi la position du HCR. Malgré l’usage de termes tels que “cas de mer” et “cas de terre” pour décrire la situation, ces personnes étaient des réfugiés, quel que soit leur contexte de départ.

Les états participants se rencontrent à Genève

Trente huit pays se rencontrèrent à Genève pour la rencontre consultative.4 Tous n’étaient pas signataires de la convention relative au statut des réfugiés de 1951. Ils étaient des pays de premier asile, des pays d’accueils ou des membres du comité exécutif. L’objectif n’était donc pas de leur faire reconnaître les standards de la convention. La base légale de cette rencontre se fondait sur le droit maritime international – le devoir de porter secours aux navires. Ensemble ils devaient trouver une solution à la crise.

Le premier point que Poul Hartling évoqua fut le cas du Hai Hong. Les tribulations du navire résumaient l’état présent de la crise des réfugiés. Au fil de plusieurs semaines, le bateau ne pouvait débarquer ses passagers et personne ne voulait s’en occuper. Le manque d’implication était justement la raison pour laquelle la communauté internationale devait s’en charger. Par conséquent, plusieurs états du monde entier se mobilisèrent afin d’accueillir les passagers du paquebot.

Le HCR est une organisation, pas un pays. À lui-même, le HCR ne peut ni octroyer l’asile, ni accueillir ni fournir une solution durable.

Il fit aussi allusion à la responsabilité des gouvernements. Le HCR ne pouvait que coordonner l’asile et l’accueil. Seuls les états – pas son organisation, pouvait octroyer l’asile. “Parfois l’évident doit être énoncé : le HCR est une organisation, pas un pays. À lui-même, le HCR ne peut ni octroyer l’asile, ni accueillir ni fournir une solution durable.”5

Les conversations lors de cette rencontre de deux jours demeurèrent privées. “Nous pouvons parler franchement et librement, puisque c’est précisément de cette façon que nous trouverons des solutions pratiques.” Les états ne devaient pas préoccuper de ce qu’ils diraient. Mais les déclarations ne suffiraient pas. Il déclara qu’à la fin de la rencontre, les états devaient avoir décidé d’un plan d’action.

Le partage du fardeau

Le rapport de la rencontre nous donne un excellent survol des discussions. Protégés des feux des médias, les gouvernements exprimèrent leurs préoccupations principales. La population déplacée n’était pas la seule victime de la crise. Les interventions des gouvernements insistèrent sur le fait que les états avoisinants du Vietnam étaient les plus vulnérables. L’Australie, un des quelques pays signataires de la convention de 1951, maintint que le fardeau était injuste. “(…) Aucune nation, à cause de sa situation géographique, ne pourrait accepter le fait d’être le récipiendaire passif d’un grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées, potentiellement même d’un transfert de population, ni n’accepterait d’être vue par les autres comme une destination inévitable de tels mouvements.”6

Presque tous les pays de l’Asie du Sud-Est étaient en accord avec cette idée. Le fardeau devait être partagé de manière plus équitable.7 Leur situation était plus grave que celle de l’Australie. Ils étaient des pays en voie de développement.8 De plus, ils faisaient face à une densité de population plus élevée.9 Les autres pays participants ne rejetèrent pas l’idée que l’on devrait se concentrer sur les états plutôt que sur les réfugiés. Plusieurs firent les éloges des efforts de la Thaïlande et de la Malaisie.10 Ils disaient cependant avoir déjà accueilli une bonne partie des réfugiés et des personnes déplacées. Cette responsabilité devait être mieux redistribuée.11

Plusieurs représentants proposèrent des solutions. Le Canada et les États-Unis suggérèrent tous les deux une approche multilatérale. Le secours en mer et l’asile temporaire ne fonctionneraient que s’il y avait la garantie préalable que ces personnes seraient accueillies et la certitude qu’il n’y aurait pas de cas résiduels.12 D’autres pays évoquèrent la possibilité du rapatriement. L’Australie réaffirma que la communauté internationale devait faire une distinction entre les réfugiés authentiques et les autres. Certaines personnes méritaient d’être protégées tandis que d’autres devraient être rapatriées.13 D’autres pays soulignèrent eux aussi le besoin d’explorer le rapatriement volontaire.14 L’accueil ailleurs dans la région était aussi une option.15 Mais tous comprenaient que tout ceci était plus facile à dire qu’à faire.

Une grande proportion des réfugiés étaient d’origine chinoise. Ces personnes avaient vécu pour plusieurs générations au Vietnam. Mais, la Chine déclarait qu’elles étaient des ressortissants chinois au cours de sa dispute avec le Vietnam. Personne ne connaissait la position de Pékin vis-à-vis cette rencontre. En dépit de sa position en tant que membre du comité exécutif, la Chine n’était pas présente. La possibilité qu’un tel rapatriement se produise était loin d’être certaine. Deux représentants se demandèrent si Pékin était prêt à devenir un pays d’accueil. Le représentant de la Malaisie fut le premier à poser la question. Il exhorta le Haut Commissaire de faire le suivi sur cette possibilité auprès de la République Populaire de Chine.16 Le représentant vietnamien poursuivit. Il indiqua que plusieurs personnes d’origine chinoise fuyaient le Kampuchéa Démocratique. Mais, qu’elles n’avaient “Pas encore été acceptées par le bon pays.”17 Tous savaient que le rapatriement était plus qu’improbable. Cela pouvait signifier le rapatriement de toutes les personnes d’origines chinoises persécutées dans la région. L’accent ne resta cependant pas sur la Chine. Le Vietnam devint la cible principale des discussions.

Plusieurs représentants craignaient que le Vietnam ait encouragé les départs. Des rumeurs racontaient que les autorités vietnamiennes acceptaient des paiements de la population qui désirait quitter le pays.18 Le Vietnam tenta de dévier ces critiques en direction de la Chine.19 Mais ces initiatives n’eurent pas beaucoup de succès. En effet, le représentant vietnamien n’essaya même pas de réfuter la rumeur. Il déclara plutôt qu’il y avait plusieurs raisons aux départs. Ces personnes ne pouvaient pas s’adapter aux “besoins en production” de la situation de l’après-guerre.20 Une “puissance étrangère” les incitait à quitter le pays.21 Ou alors, la guerre et la pauvreté étaient à l’origine de leurs départs. Le Vietnam avait besoin des contributions de tout un chacun après la guerre. Le gouvernement n’avait donc aucun désir de voir cet exode de population. Le gouvernement pensait toutefois qu’il était “incapable de l’empêcher.”22

Plusieurs représentants acceptèrent partiellement cette explication. Certains reconnurent que la pauvreté composait un incitatif important au départ.23 La rencontre devait cependant poursuivre des objectifs plus réalistes. Poul Hartling proposa donc deux actions urgentes. Plus de pays devaient offrir l’accueil. “Premièrement, les gouvernements – aux bases les plus larges – doivent consentir à accepter un plus grand nombre de réfugiés qu’ils l’ont fait jusqu’ici. Ils doivent effectuer cela de façon régulière, annuelle, afin que les pays de premier asile puissent être rassurés qu’ils ne recevront pas de problèmes résiduels.”24 Deuxièmement, les pays devaient augmenter leurs contributions financières au HCR. Ceci composa le travail préparatoire de base pour une solution multilatérale à la crise des réfugiés.


CE QUI SUIT


References

  1. ‘Statement By Mr. Poul Hartling, United Nations High Commissioner for Refugees, to the Third Committee of the United Nations General Assembly, 13 November 1978’, accédé le 9 janvier 2020 https://www.unhcr.org/admin/hcspeeches/3ae68fb00/statement-mr-poul-hartling-united-nations-high-commissioner-refugees-third.html
  2. ‘Resolutions Adopted on the Reports of the Third Committee, United Nations General Assembly (33rd Session: 1978-1979), 29 November 1978’, accédé le 9 janvier 2020 https://www.unhcr.org/en-in/excom/bgares/3ae69ee418/report-united-nations-high-commissioner-refugees.html
  3. Cette partie se sert de ce document UNHCR/F11/2/39_391_39d ‘Note By the High Commissioner, 29 November 1978, Consultative Meeting With Interested Governments on Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Geneva 11-12 December 1978’ qui est disponible dans la section “documents clés” de ce site web.
  4. Les états participants étaient : l’Algérie, l’argentine, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Brésil, le Canada, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, le Vatican, l’Indonésie, l’Iran, l’Irlande, Israël, l’Italie, le Japon, le Liban, le Libéria, la Malaisie, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, le Nigeria, la Norvège, les Philippines, la République de Corée, Singapour, la Suède, la Suisse, la Thaïlande, la Tunisie, la Turquie, le Royaume-Uni, les États-Unis d’Amérique, le Venezuela, le Vietnam. Plusieurs agences de l’ONU et organisations non gouvernementales assistèrent aussi à la rencontre : le Programme Alimentaire Mondial (PAM), l’Organisation Maritime Internationale (OMI). Les organisations intergouvernementales et non gouvernementales qui suivent furent représentées : le Comité Intergouvernemental pour la Migration Européenne (CIME), le Comité International de la Croix Rouge (CICR), la Ligue des Sociétés de la Croix Rouge (LSCR), le Conseil Américain des Agences Bénévoles (CAAB), et le Conseil International des Agences Bénévoles (CIAB) M. Newsom, le sous-secrétaire américain des affaires politiques fut accompagné par plusieurs membres du Congrès américain.
  5. UNHCR/F11/2/39_391_39c ‘Opening Statement By the High Commissioner, 11 December 1978, Consultative Meeting With Interested Governments on Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Geneva 11-12 December 1978’.
  6. UNHCR/F11/2/39_391_39d ‘Draft Summary Report, Consultative Meeting With Interested Governments on Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Geneva 11-12 December 1978’, §13.
  7. Ibid., §18 pour la Thaïlande, §27 la Malaisie qui “portent la majorité du poids de la crise”, §82 Singapour, §89 l’Indonésie, §96 les Philippines.
  8. Ibid., La Thaïlande §15, la Malaisie §28, l’Indonésie, §92.
  9. Ibid., Singapour, §82.
  10. Ibid., voir l’Australie, les États-Unis, la France ou le Canada par exemple.
  11. Ibid., L’Australie, §11, les États-Unis §24, et même le Canada §42, 27.
  12. Ibid., Les États-Unis §25, le Canada §44, et l’Autriche §51.
  13. Ibid., §12.
  14. Ibid., La Thaïlande §18, la France §56, la Suisse §69.
  15. Ibid., l’Autriche §50, la Belgique §86.
  16. Ibid., §107.
  17. Ibid., §108.
  18. Ibid., Le Royaume-Uni §67 par exemple. Le reportage extensif de Barry Wain explique que ce paiement était une contrepartie du travail que les autorités vietnamiennes firent afin d’aider le “Southern Cross” à naviguer la rivière Saigon ou le “Hai Hong” à transporter la population de la côte jusqu’au bateau, Wain, B. (1981), The Refused, the Agony of the Indochina Refugees, New York: Simon & Schuster, p. 21.
  19. Ibid., §115
  20. Ibid., §36, 37.
  21. Ibid., §137.
  22. Ibid., §137.
  23. Ibid., Le Royaume-Uni §67 ou la Suède §52 par exemple.
  24. Ibid., §157.