LES REPRÉSENTATIONS MÉDIATIQUES

SOPHIE SICKERT et HANNAH KLOS

août 2020

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La façon dont un journal rapporte les informations a de profondes conséquences. Ses décisions éditoriales et le choix des mots reflètent en partie les débats divisant l’opinion publique, tout en influençant la façon dont ses lecteurs perçoivent les nouvelles. La crise des boat people mit en évidence cette dualité. Une analyse de deux quotidiens, le Globe and Mail et le New York Times, montre comment les représentations de la crise des réfugiés ont varié de manière considérable selon la publication. En analysant la période de vingt ans entre 1975 et 1995, cette étude montre également comment les descriptions que ces journaux faisaient de la crise des réfugiés sud-est asiatique ont changé au fil du temps. Alors que le New York Times défendait continuellement la protection des réfugiés, le Globe and Mail choisit d’exposer une grande variété d’opinions concernant l’accueil des réfugiés.

Des perceptions changeantes

Dans le monde d’aujourd’hui, les crises de réfugiés attirent l’attention des médias du monde entier. Des chercheurs étudient comment les représentations médiatiques varient d’un média à l’autre et comment celles-ci influencent la protection des réfugiés.1 La crise qui se déroula en Asie du Sud-Est à la fin des années 1970 n’a cependant pas fait l’objet d’une telle analyse. C’est une lacune importante. Avec la crise des réfugiés indochinois, toute la communauté internationale débattit de l’authenticité du statut de ces réfugiés.2 Ce projet de recherche examine l’emploi que le New York Times et le Globe and Mail ont fait de certains mots spécifiques, tels que réfugiés, boat people et migrants pour décrire la population déplacée. Nous avons choisi d’analyser le Globe and Mail et le New York Times puisqu’ils sont des quotidiens réputés qui offrent une couverture médiatique des évènements internationaux. En analysant les journaux sur une période de vingt ans, entre 1975 et 1995, nous avons également observé l’évolution de leurs représentations au fil du temps. Notre analyse montre qu’il existait trois façons distinctes de représenter les demandeurs d’asile: comme réfugiés fuyant la violence; comme victimes d’une crise en mer; enfin comme migrants opportunistes. Les deux journaux adoptèrent également une stratégie de publication différente. Le New York Times soutint continuellement l’aide aux réfugiés, tandis que le Globe and Mail choisit de ne pas prendre de position définitive.

Méthodologie

Ce projet part du postulat que les mots employés pour représenter les déplacements de population ont des connotations distinctes. Autrement dit, ces mots expriment des dynamiques de déplacement différentes. Le choix des mots d’un journal est donc représentatif des opinions de ses rédacteurs, de ses éditeurs et de son lectorat. Lorsque nous avons comparé les trois termes les plus couramment utilisés pour décrire les demandeurs d’asile indochinois, réfugiée, boat people et migrant, les différences de connotations ont été très claires. 

Le dictionnaire Le Robert définit un réfugié comme celui « qui a dû fuir son pays afin d’échapper à un danger (guerre, persécutions, catastrophe naturelle, etc.) ».3 Ce terme souligne donc qu’il existe un danger. Le mot réfugié fait également référence à la définition de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Selon cette définition, le terme réfugié s’applique à toute personne qui a quitté son pays d’origine parce qu’il craint, avec raison, d’être victime de persécution.4 Lorsque les journaux utilisèrent ce terme pour décrire les personnes quittant l’Asie du Sud-Est continentale, ils laissèrent entendre que la population déplacée était victime de persécution et qu’elle méritait d’être protégée.

Le terme boat people apparut en 1976 en référence aux personnes fuyant la péninsule indochinoise par voie maritime.5 Le terme se définit comme une « personne fuyant son pays sur un bateau (en Asie) ».6 Il faisait directement référence à une deuxième crise humanitaire qui émergea à la fin des années 1970. Les gens étaient confrontés à de nouveaux dangers justement parce qu’ils quittaient leur pays dans des conditions périlleuses. Ce terme permit aux organes de presse de faire une distinction entre les personnes quittant leur pays par voie terrestre ou par bateau. En outre, il est possible que certains éditeurs aient utilisé cette formule pour éviter de reconnaître automatiquement le statut de réfugié à la population déplacée.

Enfin, le mot migrant diffère de réfugié et de boat people dans la mesure où il ignore à la fois les menaces à l’origine et les dangers vécus lors du départ. Un migrant est défini comme une « personne qui s’expatrie pour des raisons économiques ».7 En utilisant ce terme, les journaux voulaient rapporter l’opinion de certains, selon laquelle la population ne courait pas de danger, ni dans leur pays d’origine et ni lors de leur déplacement.

Pour savoir comment les journaux ont utilisé ces termes, nous avons effectué une analyse quantitative et qualitative du New York Times et du Globe and Mail. Les entrées pour chacun de ces termes dans les deux journaux entre 1975 et 1995 ont constitué une base de données, identifiant les titres, les auteurs, les dates et les types d’articles (éditoriaux, lettres aux rédacteurs, articles, publicité).

Cet outil nous a permis de comparer les deux journaux et d’identifier des tendances communes dans leurs utilisations des termes réfugiés, boat people et migrants. Par la suite, nous avons analysé le contenu des articles pour comprendre leur signification, leur ton et la position politique qu’ils associaient à ces mots. Cette analyse rhétorique nous a permis de mettre en évidence la ligne éditoriale principale de chaque journal. Malgré des différences rédactionnelles, on peut constater que la couverture des deux journaux s’est articulée autour de trois périodes, chacune marquées par l’apparition d’une nouvelle manière de représenter la crise des réfugiés. L’attention des journaux se porta d’abord sur des victimes de la guerre, puis sur la détresse de ceux qui s’enfuyaient par bateau; enfin, sur la possibilité que des personnes profitent de la protection des réfugiés.

Résultats de la recherche

Bien que leurs quotas d’accueil eurent varié d’un pays à l’autre, Ottawa et Washington s’engagèrent tous deux à accueillir des réfugiés. Le public ne fut cependant pas forcément d’accord avec la décision de leur gouvernement. La relation passée que chaque pays avait avec la région indochinoise influença considérablement l’opinion publique. Celle-ci refléta plusieurs points de vues et non pas une opinion unanime. Les deux journaux faisaient depuis des années des reportages sur la guerre du Vietnam. Ils abordèrent donc la crise des réfugiés avec l’influence d’un lourd passé. Aucun des deux journaux n’était tout à fait neutre.

40000
Articles sur le Vietnam publiés par le New York Times
12000
Articles sur le Vietnam publiés par le Globe and Mail

Entre 1975 et 1995, le New York Times publia 46 374 articles sur le Vietnam, alors que le Globe and Mail en publia 14 255. Le fait que le New York Times ait publié une quantité beaucoup plus grande d’articles s’explique non seulement par sa taille et son lectorat plus importants, mais aussi par le lien plus intime que les États-Unis avaient tissé avec le Vietnam. Malgré cet écart, on constate une proportion semblable. Les deux journaux consacrèrent environ un dixième de leurs articles sur les réfugiés à la crise indochinoise.8 C’est pourquoi il est possible de les comparer. De toute évidence, la crise en Asie du Sud-Est fut une préoccupation majeure dans le New York Times et dans le Globe and Mail.

Dans le New York Times
0%
Dans le Globe and Mail
0%

En ce qui concerne le type d’informations diffusées, les deux journaux prirent des approches différentes. En effet, le Globe and Mail accorda un plus grand poids aux lettres de ses lecteurs, alors que le New York Times accorda une plus grande importance à ses éditoriaux. Ce contraste n’est pas évident à première vue, car les deux journaux dédièrent une proportion d’éditoriaux relativement similaire. Mais une différence apparaît dans les réponses des lecteurs. Dans le Globe and Mail, 4,01 % de tous les articles sur la crise des réfugiés indochinois se constituaient de lettres à la rédaction. Dans le New York Times, ce pourcentage ne représentait que 2,25 %. De plus, la teneur de ces lettres variait aussi d’un journal à l’autre. Le Globe and Mail permit à plus d’opinions contrastées de s’exprimer. Pour commencer, 14 % de ses lettres dénonçaient explicitement l’accueil des réfugiés au Canada. Cette proportion contraste avec le New York Times, qui ne comptait que 4.79 % de son courrier des lecteurs opposés à leur venue aux États-Unis. De plus, 12 % des lettres parues dans le Globe and Mail réagirent à une annonce du National Citizens Coalition (NCC) qui plaidait contre l’admission des boat people. Bien que ces lettres eurent critiqué les propos du NCC, elles donnèrent malgré elles une publicité à un courant opposé à la protection des réfugiés. Pour ces raisons, on peut constater qu’en comparaison avec le New York Times, le Globe and Mail servit de forum où toutes les opinions sur l’accueil des réfugiés, y compris négatives, ont pu s’exprimer.

En comparaison, le New York Times adopta une stratégie plus fermement engagée pour la protection des réfugiés. Le nombre d’éditoriaux par rapport à tous les articles publiés était certes quasiment identique : 1,62 % dans le Globe and Mail et 1,48 % dans le New York Times. Cependant, le ton adopté par le New York Times prenait un caractère implacable. Entre 1975 et 1995, le journal ne publia pas un seul éditorial opposé à une implication américaine dans la crise humanitaire en Asie du Sud-Est. En outre, 81,25 % des éditoriaux plaidèrent explicitement en faveur d’un accueil aux États-Unis ou d’une augmentation de l’aide aux Vietnamiens.9 Les éditoriaux firent souvent référence à des concepts connus, tels que le rêve américain et soulignèrent le devoir moral des États-Unis envers le Vietnam.10 Bien que 72,5 % des éditoriaux du Globe and Mail aient exprimé de l’empathie pour la population déplacée, ils furent généralement moins véhéments dans leur propos. Ces différences nous permettent de déduire que le Globe and Mail adopta une position favorable à la protection des réfugiés, mais qu’il voulut mettre en avant plusieurs opinions différentes venant de ses lecteurs. Le New York Times, au contraire, prit une position franche dans ce débat.

Une analyse des données quantitatives nous permet d’identifier un changement de représentations au cours de trois périodes distinctes: 1974-1976, 1978-1980 et 1988-1990. Dans chacune de ces périodes, il y eut une augmentation du nombre d’articles publiés sur les réfugiés vietnamiens. Le plus grand nombre d’articles parut dans les années 1975 et 1979. Ces années coïncidèrent avec la fin de la guerre et de nouvelles vagues de réfugiés fuyant la péninsule. Alors que le mot réfugié était le plus utilisé dans les deux journaux, l’utilisation de boat people et de migrant augmenta au fur et à mesure que la crise persista. Le terme réfugié atteignit son plus haut niveau dans la première période (1975) après la guerre. Le terme boat people quant à lui, parut le plus souvent dans la deuxième période (1979) lorsque le nombre de personnes partant par mer augmenta. Enfin, le terme migrant atteignit son seuil maximal dans la troisième période (entre 1988 et 1991) à la fin de la guerre froide. Les diverses tendances qui se dégagent de cet aperçu quantitative indiquent qu’il y avait plusieurs phénomènes qui se cachaient dans cette crise de réfugiés. 

Cette analyse combinée du New York Times et du Globe and Mail démontre la fréquence d’utilisation des termes réfugié, boat people et migrant avec le mot Vietnam.

Des victimes de guerre

En 1975, les médias nord-américains se concentrèrent sur la prise de contrôle communiste au Vietnam. Après la guerre, la plupart des journalistes qualifièrent la population déplacée de réfugiée. Puisqu’ils parlaient principalement des personnes fuyant après la chute de Saïgon, le terme réfugié désigna principalement des réfugiés de guerre ou des réfugiés du communisme. Des articles décrivant les actualités vietnamiennes parurent régulièrement. Ils couvrirent une variété de sujets, comme la victoire communiste, les camps de rééducation d’après-guerre et les difficultés économiques. Cela dit, le sujet le plus souvent rapporté fut l’arrivée de réfugiés en Amérique du Nord. Les journalistes et les lecteurs pensaient que les Vietnamiens ayant des liens avec les États-Unis seraient persécutés s’ils étaient restés dans le pays.

Alors que les deux pays acceptèrent des réfugiés peu après la capture de Saïgon (au nombre initiale de 3 00011 et 140 00012 respectivement pour le Canada et les États-Unis), cette décision fut contestée par certains des deux côtés de la frontière.13 Le New York Times et le Globe and Mail publièrent des articles qui mirent en cause l’accueil des réfugiés. Selon ces opinions, de nouveaux arrivants prenaient des emplois, l’accueil était trop cher et les demandes d’asile étaient potentiellement sans fondement.14 Les journaux se distinguèrent l’un de l’autre cependant, par le poids qu’ils accordèrent à ces opinions opposées. Le New York Times souligna le devoir moral des Américains envers le Vietnam,15 alors que le Globe and Mail adopta une position plus réservée. Il remit en question la nécessité que le Canada dut accepter des réfugiés et permit à de nombreuses voix opposées de se faire entendre.16 Ces auteurs avaient tendance à réduire la population déplacée à des migrants ou à un ’problème américain’.

Boat People

Le terme boat people apparut dans la presse en 1976 pour désigner les personnes qui quittaient l’Asie du Sud-Est continental par bateau. Lorsque la crise humanitaire empira en 1978, les réfugiés indochinois redevinrent une question majeure pour les journaux. Lors de cette nouvelle période, un nouveau récit émergea. Les journalistes écrivirent moins d’articles sur les réfugiés de guerre fuyant les autorités communistes. Ils se concentrèrent plutôt sur les conditions dangereuses dans lesquelles les réfugiés quittaient la région. Lorsque les gens partaient en bateau, ils firent face à de nouveaux dangers tels que la noyade, la dérive sans fin, ainsi que les attaques de pirates. C’était là une nouvelle histoire que les journalistes devaient couvrir.

En 1978, la communauté internationale comprit que la région connaissait une nouvelle crise humanitaire. L’hémorragie de 1975 n’était pas encore terminée que la crise des boat people commençait déjà. Ce fut toutefois le récit tragique de personnes perdues en mer qui captura l’attention du public international. Les journaux employèrent les termes réfugiés et boat people de manière presque interchangeable, bien que les deux termes eurent des implications juridiques différentes. Le New York Times et le Globe and Mail les utilisèrent principalement pour faire référence au danger auquel la population déplacée fut confrontée pendant leur fuite. Il est intéressant de noter que le nombre de personnes quittant leur pays par voie terrestre était en fait plus important que celles fuyant par bateau. Néanmoins, les médias étrangers dirigèrent leur couverture médiatique sur le deuxième groupe.

Des articles décrivirent des bateaux impropres à la navigation, des attaques pirates récurrentes et le refus catégorique des pays voisins d’offrir un asile même temporaire.17 Les médias étrangers se concentrèrent probablement sur l’expérience des réfugiés en mer pour l’effet de choc qu’il allait susciter et parce qu’il soulevait de nouvelles questions sur la responsabilité des états dans les eaux internationales.18 Malheureusement, les réfugiés continuèrent d’arriver plus rapidement que le nombre de places d’accueil permanent dans d’autres pays. Il n’y avait pas d’issue à cette crise. Pire encore, la situation se dégradait. 

La Malaisie, l’Indonésie, Singapour, la Thaïlande et les Philippines adoptèrent une attitude inhospitalière. Pour ces pays, les réfugiés indochinois étaient des migrants, voire des immigrants illégaux. Le New York Times et le Globe and Mail condamnèrent fermement les situations où des réfugiés furent repoussés en mer sous la menace d’armes à feu, dans leurs éditoriaux comme dans le courrier des lecteurs qu’ils choisirent de publier.19 Ils attirèrent également l’attention sur le pourcentage disproportionnellement élevé de réfugiés d’origine chinoise. De nombreux articles rapportèrent que le gouvernement communiste vietnamien organisait l’expulsion de la population chinoise hors du territoire.20

Les deux journaux portèrent une attention similaire à ces phénomènes. Les dangers encourus en mer, l’inhospitalité des nations voisines et la discrimination des personnes d’origine chinoise étaient des questions cruciales pour comprendre la crise. Malgré ces points communs, les décisions éditoriales des journaux continuèrent de différer. Alors que le New York Times défendait la légitimité des réfugiés et continuait de plaider pour des quotas de réfugiés plus élevés dans ses éditoriaux,21 le Globe and Mail ouvrit un débat qui permit à toutes les opinions, même minoritaires, de s’exprimer.

The CBC interviewed members of the National Citizens Coalition after their published a full page advert discouraging Canadians to welcome Indochinese refugees. (https://www.cbc.ca/archives/entry/national-citizens-coalition-anti-immigration-campaign)

Migrants

Le terme migrant était à peine utilisé dans les années 1970 pour parler de la crise en Asie du Sud-Est. Son utilisation augmenta seulement après 1984 et il atteignit un pic en 1989. L’utilisation du terme a toujours été minoritaire dans la couverture journalistique de la crise, mais elle reflétait un changement dans l’opinion publique nord-américaine. Certaines personnes au Canada et aux États-Unis commençaient à considérer les réfugiés comme des migrants économiques plutôt que comme des victimes de persécution.22 Pour ces personnes, ce n’étaient plus des réfugiés ou même des boat people. Les termes immigrant illégal, réfugié économique et étranger clandestin apparurent également de manière croissante. De moins en moins d’états dans la communauté internationale désiraient assumer l’accueil du nombre croissant de personnes déplacées.23 Les journaux montrèrent cependant que cette opinion n’était pas universelle. Le New York Times, en particulier, continua de plaider contre l’utilisation du terme migrant économique en publiant des images, des lettres à la rédaction et des éditoriaux émouvants.24 Les deux journaux admirent néanmoins que des distinctions devaient être établies entre les demandeurs d’asile et les réfugiés.

En 1989, à la fin de la guerre froide, le plan d’action global des Nations Unies sur les réfugiés indochinois décida que les boat people ne seraient plus considérés comme des réfugiés de facto. Cette décision relança le débat autour de la crise en Asie du Sud-Est.25 Elle refléta le sentiment croissant que de nombreux demandeurs d’asile profitaient de la solidarité internationale pour quitter le Vietnam. Ce changement attira également l’attention du public sur un nouveau problème : le rapatriement. Alors que les camps de réfugiés mirent en place un processus de vérification afin de déterminer qui pouvait être considéré comme un véritable réfugié, ceux dont le statut n’avait pas été reconnu, risquaient d’être rapatriés. De nombreux journalistes présentèrent ces mesures comme la conclusion inévitable de la crise.26 Cependant, lorsque la Grande-Bretagne rapatria de force des demandeurs d’asile de Hong Kong en 1989, les équipes éditoriales du Globe and Mail et du New York Times condamnèrent ses actions.27 Le public se lassa néanmoins progressivement de la crise sud-est asiatique. Le terme compassion fatigue apparu pour décrire l’apathie qui se dégageait de la nature prolongée de la crise.28

Conclusion

Cette analyse du New York Times et du Globe and Mail montre qu’il n’y avait pas qu’un, mais quatre récits entrelacés qui entouraient la crise des réfugiés indochinois. Les journaux présentèrent l’histoire de réfugiés de guerre fuyant les régimes communistes et la dévastation de la guerre; la détresse des bateaux surpeuplés en haute mer; la possibilité de migrants opportunistes cachés; et le rapatriement volontaire ou forcé des demandeurs d’asile. Toutefois, chaque journal présenta ces récits d’une manière différente. Le New York Times plaida systématiquement en faveur d’une plus grande protection des réfugiés dans ses éditoriaux en dénonçant le rapatriement et la représentation de la population déplacée en tant que migrants. Par ailleurs, le Globe and Mail publia une plus grande variété d’opinions, à la fois pour et contre la réinstallation des réfugiés, encourageant un débat ouvert dans sa section des lettres à l’éditeur. Une lecture attentive des articles de chaque journal montre que la crise des réfugiés indochinois révéla des problèmes plus profonds. Aux États-Unis, la crise était fortement liée à la mémoire de la guerre du Vietnam. Entre 1975 et 1995, les Américains tentèrent de déterminer quelle part de responsabilité ils avaient dans l’afflux de réfugiés. Au Canada, la question de la réinstallation révéla des tensions sur l’autonomie des provinces et le rôle des citoyens, en ce qui concerne le gouvernement fédéral et l’immigration. Ce sont là des sujets importants qui méritent un examen plus approfondi pour chacun de ces journaux.


CE QUI SUIT

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References

  1. Les représentations médiatiques des réfugiés syriens, afghans et irakiens ont été étudiées dans: Silva, Bruras, et Banares, « Improper Distance: The Refugee Crisis Presented by Two Newsrooms, » Journal Of Refugee Studies 31, no. 4 (December 2018): 507–527; K. Greenwood, and T.J. Thomson, « Framing the Migration: A Study of News Photographs Showing People Fleeing War and Persecution, » International Communication Gazette (2019); Lilie Chouliaraki, and Tijana Stolic, « Rethinking Media Responsibility in the Refugee ’crisis’: a Visual Typology of European News, » Media, Culture & Society 39, no. 8 (November 2017): 1162–1177.
  2. Voir James C. Hathaway, « Labelling the « Boat People »: The Failure of the Human Rights Mandate of the Comprehensive Plan of Action for Indochinese Refugees, » Human Rights Quarterly 15, no. 4 (1993): 686-702; Tsamenyi, B. Martin, « The « Boat People »: Are They Refugees? » Human Rights Quarterly 5, no. 3 (1983): 348-73.
  3. Le Robert dico en ligne, s.v. « réfugié », consulté le 10 juin, 2020. https://dictionnaire.lerobert.com/definition/refugie.
  4. L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés, Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés, 1951. Consulté le 22 juin 2020. https://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62
  5. Le premier article du New York Times à utiliser le mot boat people est paru en 1977: Henry Kamm, « Singapore is a Bitter Harbor for Vietnam Refugees, » The New York Times, 13 juin 1977.
  6. Le Robert dico en ligne, s.v. « boat people », consulté le 10 juin, 2020. https://dictionnaire.lerobert.com/definition/boat-people.
  7.  Le Robert dico en ligne, s.v. « migrant », consulté le 10 juin, 2020. https://dictionnaire.lerobert.com/definition/migrant.
  8. Par rapport aux réfugiés de toutes les autres régions du monde, les personnes déplacées du Vietnam représentèrent 11,5% (New York Times) et 8,8% (Globe and Mail) du total des articles écrits sur les réfugiés.
  9. Entre 1994 et 1995, les éditoriaux cessèrent de plaider pour une réinstallation accrue dans les pays d’asile étrangers. Les rédacteurs estimèrent que la population serait en sécurité au Vietnam. Ils ont cependant précisé que les demandes d’asile devaient être réexaminées et que la population rapatriée serait sous protection américaine au Vietnam. Example: Éditorial, “The Last Vietnamese Boat People,” The New York Times, 25 décembre 1995.
  10. Éditorial, “Keeping Faith With the Boat People,” The New York Times, 21 novembre 1978; Éditorial,
  11. Article en première page, « Normal immigration rules waived: Canada to move quickly’ on 3,000 viet refugees, » The Globe and Mail, 2 mai 1975.
  12. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), « Flight from Indochina, » The State of The World’s Refugees 2000: Fifty Years of Humanitarian Action, (2000): 81.
  13. Pour des exemples de lettres à l’éditeur contre le rapatriement des réfugiés, voir: Farley Katz, « Of Mr. Ford and Logic, » The New York Times, 17 mai 1975; Isidor Gorn, « Refugees: Misplaced Pity, » The New York Times, 17 mai 1975; « Vietnamese Refugees, » The Globe and Mail, 12 mai 1975.
  14. Voir Douglas E. Kneeland, « Wide Hostility Found To Vietnamese Influx, » The New York Times, 2 mai 1975.
  15. Exemple tiré du New York Times: Éditorial, « A Moral Responsibility, » The New York Times, 24 avril 1975.
  16. Exemple tiré du Globe and Mail: Jerry Spiegel (lettre à la rédaction), « Vietnamese Refugees, » The Globe and Mail, 12 mai 1975.
  17. Voir Reuters, « Malaysia to Put 70,000 Refugees Back Out to Sea, » The New York Times, 16 juin 1979; Henry Kamm, « 5 Asian Nations Bar Any More Refugees, » The New York Times, 1 juillet 1979; « Boat People Towed Out to Sea, » The Globe and Mail, 2 juin 1979; « Soldiers Killed Boat People, Report Says, » The Globe and Mail, 23 juillet 1979.
  18. Voir James P. Sterba, « The Agony of Vietnam Refugee Boat 0105, » The New York Times, 25 juillet, 1979; « Girl Survives on Wreck, but 49 Others Die, » The Globe and Mail, 2 mars 1979. 
  19. Éditorial, « Our Vietnam Duty Is Not Over, » The New York Times, 28 fèvrier 1978; Louis Kawall, « Canada and others urged to unite to help the boat people, » The Globe and Mail, 21 juin 1979.
  20. Fox Butterfield, « Hanoi Regime Reported Resolved To Oust Nearly All Ethnic Chinese, » The New York Times, 12 juin 1979; Henry Kamm, « Chinese Of Vietnam Driven From North, » The New York Times, 14 mai 1979; « Vietnam is Planning Ouster of 800,000 Ethnic Chinese, » The Globe and Mail, 12 juin 1979; « Take the Profit Out of Vietnam’s Refugee Trade, » The Globe and Mail , 9 juillet 1979. 
  21. Éditorial, « America’s Duty to the Boat People, » The New York Times, 16 décembre 1978.
  22. Victor Malarek, « Vietnamese Influx a Dilemma for Hong Kong, » The Globe and Mail, 4 mai 1988; Jan Wong, « Hong Kong’s Heart Hardens Against Refugees, » The Globe and Mail , 2 avril 1990.
  23. Felicity Barringer, « ’Repatriation’ Is the Trend For Refugees Worldwide, » The New York Times, 17 novembre 1991.
  24. Exemple: Nathan Caplan, « Boat people belong here, » The New York Times, 23 juillet 1989.
  25. Voir Richard Towle, « Processes and Critiques of the Indo-Chinese Comprehensive Plan of Action: An Instrument of International Burden-Sharing? » International Journal of Refugee Law 18, no. 3-4 (1 septembre 2006): 537–570; James C. Hathaway, « Labelling the ’Boat People’: The Failure of the Human Rights Mandate of the Comprehensive Plan of Action for Indochinese Refugees, » Human Rights Quarterly 15, no. 4 (1 novembre 1993): 686-702; Sten A. Bronee, « The History of the Comprehensive Plan of Action. (Indo-Chinese Refugees, Vietnamese Boat People), » International Journal of Refugee Law 5, no. 4 (22 décembre 1993): 534–543.
  26. Felicity Barringer, « ’Repatriation’ Is the Trend For Refugees Worldwide, » The New York Times, 17 novembre 1991; John Pomfret, « Hong Kong Deports 51 Vietnamese Boat People, » The Globe and Mail, 12 décembre 1989; Jan Wong, « Hong Kong’s Heart Hardens Against Refugees, » The Globe and Mail , 2 avril 1990.
  27. Nathan Caplan,« Boat People Belong Here, » The New York Times, 23 juillet 1989; Estanislao Oziewicz, « Ottawa Cautious on Forced Repatriation: Canada Unclear on Details of Agreement regarding Vietnamese Boat People, » The Globe and Mail, 5 octobre 1991; Ross Howard, « Hong Kong Governor Thanks Canada for Backing Repatriation of Boat People,» The Globe and Mail, 24 mai 1990.
  28. Une sélection d’éditoriaux et d’articles sur la compassion fatigue du New York Times: Éditorial, « Boat People and Compassion Fatigue, » The New York Times, 14 juillet 1988; Éditorial, « A Cure for Compassion Fatigue, » The New York Times, 14 juin 1989; Henry Kamm, « Obstacles in West To Poor Refugees,» The New York Times, 27 mars 1989.