UNE CONFÉRENCE

par  PHI-VÂN NGUYEN

traduction libre par  SIMON BOILY

décembre 2019


Plusieurs chercheurs se sont souvent concentrés sur soit la crise humanitaire, soit sur la Troisième guerre d’Indochine. La plupart des études traitent de l’autre crise comme une trame secondaire à l’arrière-plan de leur récit principal. Les spécialistes des réfugiés ont étudié les aspects légaux, les conséquences sociales ou les expériences humaines. Cependant, ils ont uniquement fait allusion aux tensions de la guerre froide et leur influence en la protection des réfugiés.1 Les chercheurs de la Troisième guerre d’Indochine ont porté leur attention sur les combats armés ou les hautes sphères politiques. Ils ont mentionné l’exode de plusieurs personnes d’origines chinoises du Vietnam comme un point de tensions important entre Hanoï et Pékin.2 Il n’y a cependant pas eu d’analyse étudiant ces deux développements en parallèle. Quel est le lien entre les deux crises ? Comment se sont-elles influencées l’une et l’autre ? Une étude des archives de l’ONU et du HCR démontre que cette réponse à la crise humanitaire a servi des objectifs politiques. Cet essai résume un article plus détaillé publié dans le journal des études X. l’article complet est disponible ici et ici.

L’initiative diplomatique chinoise

La crise humanitaire et la crise politique exigèrent des solutions et des approches différentes. Mais ceci changea lorsque la Chine constata que son invasion du nord du Vietnam ne réalisait pas les résultats escomptés. La campagne militaire avait échoué. Peut-être qu’une offensive diplomatique aurait plus de succès.3

Les Nations Unies furent le théâtre où la politique internationale et la crise humanitaire se combinèrent l’une à l’autre. Les états communistes éprouvaient souvent une grande suspicion vis-à-vis des agences des Nations Unies en raison du risque d’ingérence potentielle dans leurs affaires intérieures.4 Mais désormais, ces mêmes agences pouvaient aider la Chine à isoler le Vietnam. Alors que Pékin avait pris le siège de la République de Chine en 1971,5 elle n’avait pas contribué à chaque agence de l’ONU avec le même zèle. Pékin fut particulièrement actif au Conseil économique et social. Mais la Chine était largement absente dans le travail de plusieurs autres agences. Malgré cela, en juin 1979, la Chine envoya une délégation aux rencontres du comité exécutif du HCR. En effet, la crise des réfugiés de l’Asie du Sud-Est pouvait placer le Vietnam sous le regard de la critique internationale.

La Chine se servit aussi de l’influence du Secrétaire Général. Le 16 mars, la Chine retira complètement ses troupes du nord du Vietnam. Le Conseil de Sécurité ne réussit pas à passer une résolution condamnant l’occupation vietnamienne du Cambodge à cause d’un véto soviétique.6 Le même jour, le représentant permanent de la Chine rencontra le secrétaire général Kurt Waldheim et l’exhorta de faire tout son possible pour mettre fin à l’occupation vietnamienne du Cambodge. C’est à ce moment que la crise politique devint également un problème pour les Nations Unies.

Le Secrétaire Général avait déjà établi de bonnes relations avec la Chine. Kurt Waldheim et sa femme visitèrent le pays en 1972, peu de temps après l’admission de la Chine comme membre des Nations Unies.

The UN Security Council fails to pass a resolution condemning Vietnam's occupation of Cambodia, 16 March 1979,
Credits: UN Photos
Ambassador Huang Hua, Permanent Representative of China
Credits: UN Photos
Waldheim was the first Secretary-General to visit China after its entry as a member of the United Nations in 1972.
During his visit in 1972, Kurt Waldheim met with Chou Enlai

Les initiatives de l’ONU pour résoudre la crise

Kurt Waldheim prit les demandes chinoises au sérieux. Vers la fin du mois d’avril 1979, le Secrétaire Général se rendit en Asie. Il visita le Vietnam et la Chine en espérant offrir ses bons offices. Aucun d’entre eux ne consentit à réviser sa position.7

Le secrétaire général visita aussi plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est. Il tenta de convaincre la Malaisie et la Thaïlande d’accepter à la fois les réfugiés et les bateaux en détresse. Mais il ne parvint pas à de meilleurs résultats sur le plan de la crise humanitaire. Le gouvernement de la Thaïlande, qui avait porté secours aux réfugiés provenant du Vietnam et du Cambodge auparavant, retournait à la frontière toute la population arrivée après le 8 janvier 1979. Cette date marquait la mise en place d’un nouveau gouvernement, la République populaire du Kampuchéa, succédant aux Khmers rouges. D’après les autorités thaïlandaises, toute personne arrivant après cette date était un partisan ou un sympathisant communiste. Ils étaient illégaux sur le territoire thaïlandais et ne pouvaient donc être considérés comme une victime de persécution communiste.8

Kurt Waldheim retourna bredouille à New York.9 Le 24 mai, il exhorta les pays à augmenter leurs contributions financières et leurs quotas d’accueil afin d’alléger le fardeau des premiers pays d’asile.10 Ce fut la première réponse à son appel qui proposa de traiter des deux crises comme un seul problème.

L’instrumentalisation politique de la réponse humanitaire

Le Royaume-Uni répondit à son appel avec une proposition.11 Cette dernière demanda l’organisation d’une conférence. La rencontre traiterait de la crise humanitaire et condamnerait le Vietnam comme étant la source principale de persécution. Le secrétaire général et le HCR exprimèrent leurs réserves et consultèrent d’autres pays à ce propos.12 Bien que plusieurs pays ne furent pas d’accord sur tous les aspects des questions, ils reconnurent l’urgence de la situation et promirent d’être présents à cet événement. Une conférence devint possible grâce à une formidable convergence de différents intérêts.

La Chine voulait utiliser la conférence afin d’identifier le Vietnam comme la source principale d’instabilité politique en Asie du Sud-Est. Les États-Unis supportèrent cette initiative, qui ressemblait à la politique de Washington depuis 1975. Le Royaume-Uni, dirigé par une nouvelle première ministre, Margaret Thatcher, voulait également “mettre au pilori” le Vietnam. Même les états européens, plutôt concernés par la crise humanitaire que par les tensions politiques, étaient prêts à faire un compromis. Après que Londres ait mené une grande campagne visant ses états alliés et les médias, un consensus émergea. Le nombre d’états prêts à garantir l’accueil de réfugiés atteignit une masse critique. Les pays du G7 se rencontrèrent à Tokyo et diffusèrent une déclaration spéciale. Ils déclarèrent leur soutien à l’organisation d’une conférence internationale.13 Les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) se rencontrant au sommet de Bali au même moment accueillirent la déclaration des pays du G7. Ils affirmèrent eux aussi leur intention de participer à la conférence.

La conférence de juillet 1979 sur les réfugiés indochinois

En fin de compte, le Secrétaire Général organisa une conférence sur la crise des réfugiés indochinois. Alors que Waldheim fit de son mieux pour donner l’impression que la conférence portait sur la crise humanitaire, quatre de ses choix démontrèrent que la rencontre tentait d’exercer une pression politique sur Hanoï. Premièrement, la date et le lieu de la conférence, le 21 juillet à Genève, rappelaient un anniversaire douloureux au Vietnam. Deuxièmement, le nombre de participants serait assez élevé pour suggérer que toute la communauté internationale était impliquée. Troisièmement, la liste de participants exclut les alliés du Vietnam, à l’exception de l’URSS. Finalement, l’ordre en lequel les états prirent la parole lors des deux jours de conférence refléta les intérêts des pays de l’ANASE. Cela montrait  que la conférence avait un double objectif. Elle répondait à la crise humanitaire. Mais, elle neutralisait aussi – du moins partiellement – l’impasse politique en Asie du Sud-Est. 


CE QUI SUIT


References

  1. Les exceptions les plus notables seraient Sutter, Valerie O’Connor. The Indochinese Refugee Dilemma. Baton Rouge: Louisiana State University Press, 1990 et pour des études plus courtes, Keely, Charles. “The International Refugee Regime(s): The End of the Cold War Matters.” International Migration Review 35, no. 1 (2001): 303–14. Une autre référence importante serait Frost, Frank. “Vietnam, Asean and the Indochinese Refugee Crisis.” Southeast Asian Affairs 7 (1980): 347–67.
  2. Elliott, David W. P., ed. The Third Indochina Conflict  Boulder: Westview Press, 1981, Quinn-Judge, Sophie. “Chronology of the Hoa Refugee Crisis in Vietnam,” In The Third Indochina War, Conflict Between China, Vietnam and Cambodia, 1972–1979, edited by Odd Arne Westad, and Sophie Quinn-Judge, London: Routlege, 2006, 234–37.
  3. Les États-Unis préférèrent cette approche. Lorsque Deng Xiaoping visita les États-Unis en 1979, Carter résista initialement à l’idée d’une invasion du nord du Vietnam. Les huit pays qu’avait visité Washington afin de mettre fin à leur support humanitaire du Vietnam supportèrent cette initiative en réaction à l’invasion du Cambodge. Le président déclara : "Nous croyons que leur isolement est une meilleure punition," FRUS 1977–1980 Volume XIII China. “Memorandum of Conversation, President Reporting His Conversation With Deng, 30 January 1979.” 771.
  4. Voir Elie, Jérôme. “The UNHCR and the Cold War: A Documented Reflection on the Un Refugee Agency’s Activities in the Bipolar Context.” The UNHCR and the Global Cold War, 1971–1984 (2007): Accédé le 11 décembre 2019, https://graduateinstitute.ch//sites/default/files/2018-12/UNHCR_and_CW_Work-P.pdf; Gaiduk, Ilya. “The Soviet Union and Unesco During the Cold War”.” Accédé le 11 décembre 2019, http://portal.unesco.org/en/ev.php-URL_ID=30447&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html.
  5. United Nations General Assembly. “Resolution 2758 on the Restoration of the Lawful Rights of the People’s Republic of China in the United Nations, 25 October 1971.” Accédé le 11 décembre 2019, https://digitallibrary.un.org/record/192054?ln=en.
  6. United Nations Security Council. “Pv of the 2129th Session, March 16 1979.” Accédé le 11 décembre 2019, https://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/PV.2129(OR).
  7. UN/Kurt Waldheim Files/ S-0987/0008/14.“Notes on a Meeting Held During the Secretary-General’s Visit to Beiking, 1 May 1979, Present: The Secretary-General, Vice Premier Deng Xiaoping of the PRC, Vice Foreign Minister Chang Wen Ching of the PRC, Two officials of the Foreign Ministry, Mr. Rafeeydin Ahmed, Ferdinand Mayrhofer-Gründhel, François Giuliani, 1 May 1979.”
  8. UN/Kurt Waldheim Files/ S-0990/ 0005/06.“Notes on a meeting held at Government House in Bangkok, Monday 14 May 1979.” Voir le document original ici.
  9. Les premiers mémoires de Waldheim soulignèrent ses tentatives d’agir en tant que médiateur entre le Vietnam et la Chine. Waldheim, Kurt. The Challenge of Peace. London: Weidenfeld & Nicholson, 1980, 128–129. Son deuxième mémoire mit l’emphase sur ses exploits par rapport à la crise humanitaire et minimisa son rôle dans la crise politique, Waldheim, Kurt. In the Eye of the Storm, A Memoir. Bethesda: Adler & Adler, 1986, 150–151.
  10. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. “Secretary General’s Cable Appeal of 24 May 1979 to Heads of Government on Behalf of Indo-Chinese Refugees.” Voir le document original ici.
  11. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. “Letter to Secretary General from British Prime Minister Margaret Thatcher, 31 May 1979.”
  12. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. “Memorandum on Mrs. Thatcher’s Letter of 31 May to the Secretary-General, 6 June 1979.” See also UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_a. “Letter from V. Dayal Executive Assistant to the High Commissioner to Poul Harting High Commissioner to Refugees, 15 June 1979.” Voir le document original ici.
  13. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_b. “Special Statement of the Tokyo Summit on Indochinese Refugees, 28 June 1979.”