VISITE DE LA THAÏLANDE


Durant sa tournée en Asie, Kurt Waldheim s’arrêta également en Thaïlande. Il rencontra les autorités thaïlandaises et se renseigna sur la position des autorités thaïlandaises en ce qui concerne les crises politique et humanitaire.


CONFIDENTIEL

Notes sur une réunion tenue au palais gouvernemental à Bangkok, lundi le 14 mai 1979

PRÉSENT: 

AU NOM DU GOUVERNEMENT THAÏLANDAIS :

Général Kriangsak Chomanan — Premier Ministre
Upadit Pachariyangkun, Ph.D. — Ministre des Affaires Étrangères
Général Lek Kaeomali — Ministre de l’Intérieur
M. Wongse Polnikorn — Vice-Ministre des Affaires Étrangères
Général Serm na Nakorn — Commandant Suprême
M. Arun Panupong — Sous-Secrétaire du Ministère d’État pour les Affaires Étrangères
Maréchal des Forces Aériennes Siddhi Savetsila — Secrétaire Général, Conseil National de Sécurité ; Représentant permanent de la Thaïlande aux Nations Unies
M.L. Birabhongse Kasemsri — Directeur Général, Département des Organismes, Ministère des Affaires Étrangères
et d’autres officiels de haut rang

AU NOM DES NATIONS UNIES :

M. Kurt Waldheim — Secrétaire Général
M. R. Ahmed — Assistant Exécutif au Secrétaire Général
M. J. Maramis — Secrétaire Exécutif, CESAP1
M. F. Mayrhofer-Grünbühel — Assistant Spécial au Secrétaire Général
M. F. Guiliani — Porte-parole du Secrétaire Général
M. L. Goodyear — Représentant Régional, HCR

1. À la demande du Premier Ministre, le Secrétaire Général a donné un compte rendu de ses visites dans les autres pays dans la région. En ce qui concerne les affaires des réfugiés, il a souligné

(a) la volonté exprimée par le Premier Ministre du Vietnam de coopérer entièrement avec le HCR et le pays d’accueil pour prévoir le départ organisé et légal de tous ceux qui le désirent. Le Secrétaire Général a mentionné que le HCR ouvrira un bureau à Saïgon qui aidera au déplacement ordonné directement du Vietnam.

(b) le concept d’un centre de transit et de traitement qui serait établi en Indonésie. Dans ce lien, le Secrétaire Général a souligné que l’idée actuelle du gouvernement indonésien est que le centre ne desservira pas les réfugiés nouvellement arrivés mais recevra probablement les 10 000 cas par voie de mer, qui étaient déjà dans les pays environnants et qui avaient déjà été accueillis, pendant le temps nécessaire au HCR pour compléter le traitement et organiser les prochains mouvements.

2. Le Secrétaire Général a ensuite exprimé sa profonde préoccupation et inquiétude au sujet des nouveaux développements au Kampuchéa, qui avaient déjà mené à la fuite de plusieurs milliers de personnes vers la Thaïlande et qui pourraient mener à de plus grandes difficultés pour des centaines de milliers de plus, particulièrement en raison du danger d’une possible famine. Il a indiqué sa connaissance du lourd fardeau auquel le gouvernement thaïlandais faisait déjà face et des problèmes potentiels, comprenant de graves aspects politiques. Il était aussi entièrement d’accord que le fardeau devrait être adéquatement partagé par la communauté internationale et qu’il ferait tout son possible pour mobiliser l’aide internationale, en particulier pour obtenir les places d’accueil à l’étranger. Tout en constatant les aspects plus étendus, il souhaitait, cependant, d’aborder les aspects humanitaires du problème.

3. Dans son discours au dîner, le Premier Ministre a souligné la différence entre les « réfugiés » et les « personnes déplacées » et a dit que les personnes arrivant depuis le 7 janvier 1979 devaient être considérés comme faisant partie d’une autre catégorie. Pour les Nations Unies, quelqu’un qui quitte son pays par peur est considéré comme réfugié. Une personne déplacée est quelqu’un qui est déplacé dans son propre pays. Le problème des réfugiés devrait être traité comme une affaire humanitaire. Que pouvait-on faire pour les 4000 personnes qu’il avait vues à Wat Ko et d’où 1700 avaient été renvoyés ? Il savait que les soldats khmers rouges dans ce camp ont dit à ces gens qu’ils seraient tués s’ils retournaient au Cambodge.

4. Le Premier Ministre lui avait dit que les autorités thaïlandaises ne repoussaient pas les gens, mais tentaient de les inciter à retourner chez eux. Pour ceux qui souhaitaient revenir, c’était entièrement acceptable. Cependant, pour les autres personnes qui souhaitent rester, ils devaient être autorisés de le faire.

5. Il comprenait les difficultés légales. Tandis qu’il serait préférable de résoudre le problème sur une base légale, conformément aux déclarations et conventions des Nations Unies, si ce n’était pas possible, il recommanderait que le problème soit abordé de manière pragmatique. Pour ceux qui souhaiteraient revenir, on pourrait leur donner de la nourriture et leur permettre de revenir. Pour les autres, il faudrait les laisser rester jusqu’à ce qu’ils puissent être déplacés vers un pays tiers. Il était prêt à mobiliser l’aide de toutes les agences adéquates des Nations Unies — non seulement le HCR, mais aussi l’UNICEF2, le PAM3, etc., en plus du CICR4. Le peuple doit rester en plein contrôle du gouvernement. Les Nations Unies donneront de la nourriture et de l’argent et s’assureront que ces personnes quittent le pays, que ce soit vers un accueil final ou vers un centre de traitement. La possibilité d’aide alimentaire a déjà été discutée avec M. Saoma. Il informera également M. Vogel du PAM, pour venir en aide si le gouvernement le souhaitait.

6. Le Secrétaire Général a conclu en exprimant de nouveau sa profonde gratitude au gouvernement thaïlandais pour l’énorme aide qu’il a fournie jusqu’ici.

7. Le Général Lek Naeomali, Ministre de l’Intérieur, a répondu au Secrétaire Général. Il indiqué que les personnes arrivées jusqu’à la fin de 1978 fuyaient le communisme. La Thaïlande, en tant que pays anti-communiste, leur a permis d’entrer et de rester. Cependant, ceux qui arrivaient depuis 1979 étaient procommunistes et constituaient, à ce titre, des immigrants illégaux. Ceci était nécessaire pour que le gouvernement puisse conserver un contrôle ferme. Cependant, leur statut était quelque peu semblable à celui des réfugiés.

8. Le nouveau problème se situait au-delà des capacités de la Thaïlande. Les autorités avaient besoin d’une aide financière plutôt que de pourparlers. Ils avaient besoin d’argent à leur disposition.

9. En termes plus généraux, il était convaincu que s’il y avait la paix au Cambodge, il n’y aurait pas de réfugiés. Ainsi, l’effort principal devrait être de restaurer la paix au Cambodge. Deuxièmement, les Nations Unies devraient accélérer l’accueil dans les pays tiers ou, plutôt, « redistribuer ces personnes dans d’autres pays ». Il a demandé au Secrétaire Général, « Avez-vous demandé à Pham Van Dong pourquoi ils laissaient les gens partir ? Ils ont de l’espace et ont besoin d’effectifs et doivent donc avoir une raison cachée. Vous devez le persuader de ne plus laisser les gens partir. »

10. Le Secrétaire Général a noté les commentaires du Ministre. Il a souligné que l’aide alimentaire sera disponible sur demande du gouvernement. Cependant, en ce qui concerne le point du Général Lek sur l’arrêt des départs, selon la Déclaration des droits de l’homme, tous ceux qui souhaitent partir devraient être autorisés à le faire et devraient être accueillis dans d’autres pays. On lui a posé la même question à Jakarta. « Avez-vous demandé à M. Pham Van Dong d’empêcher les gens de sortir » et a répondu qu’il ne le ferait jamais. Ce serait contre tous les principes que, depuis les derniers 35 ans, les Nations Unies se sont efforcées d’établir. Ces personnes risquaient leur vie. Il a constaté que ces départs résolvaient peut-être les problèmes du Vietnam. Cependant, en dépit de cela, les Nations Unies devaient toujours appuyer les droits des réfugiés.

11. Le Général Lek a dit que le Secrétaire Général aurait dû le mentionner à M. Pham Van Dong à titre personnel, pas dans sa capacité comme Secrétaire Général. Dans tous les cas, si un diplomate été accusé d’espionnage, un pays a le droit de l’expulser. Ces mouvements pourraient être l’expulsion organisée de minorités, semblables aux actions prises par l’Allemagne avant la Seconde Guerre mondiale et il doit y avoir une raison cachée pour les laisser partir. La situation était celle d’une guerre. Le Secrétaire Général doit comprendre la position de la Thaïlande.

12. Le Secrétaire Général a répondu qu’il a compris en effet les difficultés de la Thaïlande. Cependant, le départ organisé depuis le Vietnam était en réponse à la pression interne. Il ne croyait pas que toutes les personnes souhaitant sortir maintenant étaient des espions, ni qu’ils étaient tous des communistes. Il avait l’impression que ce n’était pas dans les meilleurs intérêts de la Thaïlande d’être rigide envers ces personnes. S’ils retournaient au Kampuchéa, leur vie pourrait être en danger. D’un point de vue humanitaire, c’était une situation très grave. Il croyait que le problème pouvait être résolu sur une base pratique.

13. Le Général Lek a répété la déclaration du Premier Ministre que le gouvernement ne repoussait pas par la force — ils n’avaient pas assez de fusils pour le faire. Ils utilisent seulement la persuasion.

14. Le Secrétaire Général a répondu qu’il y avait deux histoires différentes. On disait que les autorités avaient essayé de les convaincre de revenir, mais on lui avait dit — non seulement en Thaïlande mais avant son arrivée, que plusieurs avaient été escortés par les troupes khmères rouges ou par des soldats thaïlandais. Cela ne leur laisse aucun choix pratique. Il croyait toujours que ça devrait être abordé comme un problème pratique.

15. Le Premier Ministre a demandé la confirmation que l’Indonésie accueillera seulement les « anciens » réfugiés qui ont été accueillis par des pays tiers. Il a demandé, ce « qu’il en est, dans ce cas, des 150 000 “anciens” réfugiés en Thaïlande ? »

16. Le Secrétaire Général a répondu que la solution indonésienne était principalement prévue pour les cas par voie de mer dans la région. Il ne le voyait pas comme une solution pour les réfugiés en Thaïlande, pour qui des opportunités supplémentaires et un traitement plus rapide était nécessaire. Il a mentionné que durant ses discussions avec l’Ambassadeur des États-Unis à Bangkok, l’Ambassadeur l’a informé de ses efforts pour persuader le gouvernement des États-Unis d’en faire plus, ainsi que de la possibilité que les États-Unis accueillent un plus grand nombre.

17. Le Secrétaire Général a suggéré qu’il pourrait nommer un officiel de haut rang parmi son siège comme Agent de liaison. Cet officiel serait un homme avec beaucoup d’expérience mais pas un officiel du HCR, alors la question du statut des nouvelles arrivées serait évitée. Il pourrait fonctionner comme un lien personnel entre le Premier Ministre et le Secrétaire Général et pourrait coordonner de l’aide de toutes les agences des Nations Unies et d’autres corps, tels que le CICR.

18. La réponse du Premier Ministre était évasive. 5 Il a dit que tous les soldats armés doivent être isolés dans la région frontalière et finalement repoussés. Si les civils étaient autorisés à rester, même sans annonce publique, il croyait que l’ensemble du Vietnam du Sud voudrait venir. Le problème était si grand. Plus de 50% des arrivants voulaient retourner chez eux, à terme. L’affaire causait un problème interne pour le pays qui avait tant de personnes pauvres. L’acceptation de réfugiés susciterait également des soupçons. Si des combats devaient éclater entre la Thaïlande et le Laos ou la Thaïlande et le Cambodge, ce serait très grave et très difficile à arrêter. Le problème des réfugiés devrait être résolu dès que possible. Il a mentionné que, contrairement à certains rapports, ils permettaient aux cas par voie de mer de rester.

19. Le Général Lek a dit que les pays tiers devraient compléter leur traitement directement et immédiatement.

20. Le Secrétaire Général a indiqué de nouveau qu’il demandera aux pays occidentaux de fournir une aide plus efficace.

21. Le Premier Ministre a dit que les « travailleurs en charge des réfugiés » étaient des personnes exceptionnelles mais qu’ils considéraient le problème d’un seul angle et ne comprenaient pas les conséquences plus larges.

22. Le Secrétaire Général a indiqué qu’il comprenait que le problème avait d’autres aspects. Cependant, il a dû exprimer une préoccupation humanitaire. Il était certain qu’il serait possible de parvenir à une solution adéquate.

23. Le Premier Ministre a ensuite proposé que

(a) les vivres devraient être achetés en Thaïlande. Cela ferait d’une pierre deux coups. (Le Secrétaire Général était d’accord que c’était une possibilité.)

(b) les Nations Unies devraient constituer un « no man’s land » à l’intérieur du Kampuchéa où toutes les personnes seraient retenues et seraient nourris directement — ceci était nécessaire afin d’éviter d’appuyer l’effort de guerre de chaque côté.

24. Le Secrétaire Général a mentionné le problème de la non-reconnaissance par les Nations Unies du régime Heng Samrin. Il croyait que c’était un domaine où l’Agent de liaison pourrait aider.

25. Le Premier Ministre a répondu qu’ils ne voulaient personne sur le terrain. « Envoyez-nous le matériel. Nous le ferons. » Le Secrétaire Général a souligné encore une fois que l’Agent de liaison travaillerait directement avec le gouvernement et ne ferait rien contre la volonté du gouvernement. Il comprenait entièrement les problèmes mais croyait qu’une telle nomination rejoindrait les deux aspects — autant la sécurité que l’humanitarisme.

26. Le Premier Ministre a répondu que « Nous ferons de notre mieux. Nous ne voulons pas avoir trop de personnes sur le terrain. »

27. En conclusion, le Général Lek a indiqué que l’Agent de liaison devrait recevoir les vivres directement et les transporter et livrer au Kampuchéa, autrement la Thaïlande sera accusée d’avoir aidé au régime Pol Pot.

28. Le Premier Ministre a conclu la réunion en mentionnant les nombreux autres problèmes de la Thaïlande qu’il n’y a pas eu le temps de discuter et a déclaré qu’il en discuterait avec le Secrétaire Général en dehors de la réunion.

N.B. 1) Cette note a été rédigée par M. Goodyear. Des changements mineurs y ont été apportés.
2) Cette note aborde seulement les discussions officielles. Il y a eu une autre réunion la dernière soirée, à laquelle seulement le Ministre des Affaires Étrangères et M. Ahmed ont participé.

F.M.G.

Ceci est une traduction libre faite à partir de la page https://boatpeoplehistory.com/archives-3/kd/kurt-waldheims-visit-to-thailand/

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UN/Kurt Waldheim Files/ S-0990/ 0005/06. Notes on a meeting held at Government House in Bangkok, Monday 14 May 1979.

References

  1. Commission économique et sociale pour l'Asie et le Pacifique
  2. Fonds des Nations unies pour l'enfance
  3. Programme alimentaire mondial
  4. Comité international de la Croix-Rouge
  5. Lors d’une réunion ultérieure, il a accepté cette suggestion.)