LES PAYS DE L'ASIE DU SUD-EST REJETTENT LES NOUVEAUX ARRIVÉS

par PHI-VÂN NGUYEN

traduction libre par  SIMON BOILY

janvier 2020


La rencontre consultative en 1978 trouva la réponse à la crise humanitaire. Pourtant, les états de l’Asie du Sud-Est continuèrent à repousser l’afflux de population. Pourquoi ces états rejetèrent-ils les réfugiés ? Un progrès significatif avait été réalisé grâce à la rencontre consultative. Mais, le taux de nouvelles arrivées augmenta avec le déclenchement de la Troisième Guerre d’Indochine. Le nombre de places d’accueils ne pouvait pas compenser le nombre de réfugiés qui arrivaient. Les états de l’Asie du Sud-Est ne relâchèrent pas, mais renforcèrent au contraire leurs politiques de refus des nouvelles arrivées.

 

Progrès

Lors des mois qui suivirent la rencontre consultative, le HCR effectua un progrès significatif.1 Le Haut Commissaire poursuivit des discussions bilatérales avec des états. Le Vietnam annonça qu’il permettrait aux personnes de de quitter son territoire pour des raisons médicales ou familiales.2 Le HCR entreprit des négociations avec Hanoï. Ils conclurent un accord en mai 1979. Grâce au programme de départ organisé l’agence pouvait traiter les demandes de ces personnes avant qu’elles ne quittent le Vietnam.3 Cet arrangement éliminait la plupart des risques encourus lorsqu’on tentait de rejoindre un autre pays.

Les pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) proposèrent de mettre en place des centres de traitement spéciaux. Certaines îles, par exemple, pourraient devenir des centres de traitement. Les pays ne perdraient pas leurs droits souverains sur ces îles dans le cadre de cet accord. Elles serviraient en fait de zone tampon, car les personnes qui y arriveraient ne seraient donc pas sur leurs territoires en demandant l’asile. Les officiers du HCR pourraient mener des entrevues sur place et organiser un accueil dans un pays tiers.4 De tels arrangements devaient satisfaire certains critères cependant. Il ne devait pas rester le moindre cas résiduel. Le HCR devait s’assurer de trouver une place d’accueil pour chaque réfugié. L’organisation avait donc besoin d’engagements fermes et continus de la part de pays tiers. C’était là une tâche déjà bien difficile. Cette mesure permettrait aussi à ces états de rester désengagés vis-à-vis de la crise. La Malaisie et la Thaïlande avaient hâte de transférer les réfugiés qu’elles avaient déjà acceptés vers ces centres.5 “Le HCR s’inquiète qu’un centre de traitement spécial ne devienne un substitut pour le premier asile offert aux cas déjà dans la région ou aux nouveaux arrivés.”6 La création de centres faciliterait le traitement des réfugiés, mais, en ce faisant, cette mesure permettrait aux pays de l’Asie du Sud-Est d’ignorer leurs devoirs vis-à-vis ces personnes vulnérables.

Finalement, les états répondirent aux appels de Poul Hartling demandant une augmentation du nombre de places d’accueils. Les quotas d’accueils augmentèrent de 57 000 à la mi-octobre 1978 à 90 000 en mars 1979.7 Cette augmentation fut significative. Mais, elle ne suffisait pas encore aux demandes de la situation. Plusieurs personnes arrivaient toujours et se faisaient diriger vers de petites îles. Pulau Bidong, Galang ou Palawan devinrent des centres de transit. Les réfugiés se trouvaient face à un futur incertain.

La rencontre consultative de décembre 1978 augmenta le quota d’accueils d’à peu près 60%

Places d'accueils à la mi-octobre
37000
Places d'accueils en mars 1979
70000

Repousser les réfugiés

Malgré ces progrès, les états de l’Asie du Sud-Est continuèrent à repousser les réfugiés. L’Indonésie et les Philippines prirent des positions plus dures encore.8 La Malaisie fut néanmoins la plus radicale de tous. Les causes de cette position extrême sont complexes. Le pays n’a toujours pas aujourd’hui, adopté des dispositions légales pour la protection des réfugiés.9 Ceci s’explique en partie d’un passé colonial qui ne consacrait aucune importance à la protection des réfugiés. La Malaisie anglaise déporta des milliers de personnes d’origines chinoises lors de l’insurrection communiste malaise.10 Cela n’empêcha pourtant pas l’état de donner l’asile aux musulmans du Mindanao ou aux Chams du Vietnam.11

Tout ceci ne tient pas compte des Vietnamiens que la Malaisie accueillit après 1975. Le nationalisme malaisien explique possiblement la réticence de protéger les “boat people” en 1978.12 Selon cette interprétation l’immigration massive de Chinois dans la période coloniale aurait inspiré une détermination catégorique à protéger les intérêts malaisiens dans la Malaisie postcoloniale. Les Malaisiens craignaient les “boat people” puisqu’ils étaient des personnes d’origines chinoises. Mais une raison plus évidente se trouve cependant dans les chiffres. Les réfugiés de la guerre du Vietnam et des Philippines du sud sont arrivés par vagues. Leur arrivée se ralentit et s’arrêta pratiquement. En revanche, il ne semblait pas avoir de fin à l’afflux de “boat people.” Pire encore, le nombre d’arrivées avait augmenté d’un facteur de six dans les dix derniers mois. En octobre 1978, 12 524 réfugiés arrivèrent par bateau dans toute la région, il n’y en avait que 1 925 en janvier 1978.13 En outre, les autorités vietnamiennes prenaient des pots-de-vin afin de laisser partir la population du territoire. Cela donnait l’impression que le Vietnam réglait son problème de surpopulation tout en dégageant un profit. C’était inacceptable pour la Malaisie.

Le 15 mars, Datuk Hossein Onn, le premier ministre de la Malaisie, annonça que le pays fermait ses portes.14 Cette politique causa des tragédies qui auraient pu être évitées. Deux semaines plus tard, les garde-côtes remorquèrent un bateau à l’extérieur des eaux malaisiennes. Le bateau chavira, causant la mort de 100 des 237 passagers à bord.15 Le représentant régional du HCR en Malaisie, Rajakopalam Sampatkumar, se plaignit auprès du ministère des Affaires étrangères de la Malaisie à propos de cet incident.16 Il discuta aussi avec des correspondants étrangers. Reuters reporta qu’“un des survivants avait une blessure par balle infligée lorsqu’un bateau de patrouille ouvrit le feu dans l’espoir d’effrayer le bateau.”17 Le gouvernement malaisien devint furieux lorsqu’il entendit cette accusation infondée.18

Un des survivants avait une blessure par balle infligée lorsqu'un bateau de patrouille ouvrit le feu dans l'espour d'effrayer le bateau

L’idée que les garde-côtes étaient prêts à tirer à portée de vue fit surface à nouveau. Deux mois plus tard, ce n’était plus une rumeur, mais le vice-premier ministre de la Malaisie lui-même, Mohamed Bin Matathir, qui fit deux déclarations explosives. Le 15 juin, il annonça qu’une loi serait soumise au parlement pour permettre aux garde-côtes de faire usage de la force, y compris l’emploi d’armes à feu, afin d’empêcher l’arrivée de personnes en Malaisie. De plus, les réfugiés qui se trouvaient au pays se feraient déporter. L’annonce que la Malaisie allait “ouvrir le feu” et “déporter les réfugiés” était en fait une provocation. Celle-ci ralentit le rythme de nouvelles arrivées.19 Mais elle alarma aussi la communauté internationale. La Malaisie n’était pas prête à accepter plus de réfugiés si la vitesse de l’accueil à l’étranger n’accélérait pas à son tour. Tous les accomplissements réalisés lors de la rencontre consultative n’étaient donc pas suffisants. Un nombre croissant de personnes risquaient leur vie en quittant leur pays d’origine par bateaux afin de faire face à un futur incertain.


CE QUI SUIT


References

  1. Il prépara un résumé bref de ses accomplissements pour le Secrétaire Général. UN/Kurt Waldheim Files/ S-0990/ 0005/06 ‘Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Brief Prepared for the Secretary-General By UNHCR, 12 April 1979’.
  2. UNHCR/F11/2/39_391_39d ‘Draft Summary Report, Consultative Meeting With Interested Governments on Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Geneva 11-12 December 1978’, § 39, 138.
  3. Voir Kumin, J. (2008), ‘Orderly Departure From Vietnam: Cold War Anomaly Or Humanitarian Innovation?’, Refugee Survey Quarterly, 27 (1): 104–17.
  4. UN/Kurt Waldheim Files/ S-0990/ 0005/06 ‘Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Brief Prepared for the Secretary-General By UNHCR, 12 April 1979’, Annex I
  5. Ibid. § 4.
  6. Ibid. § 5.
  7. Ibid. §10.
  8. Ibid. §6. Pour une analyse de cette réticence dans la littérature secondaire, voir Davies, Sarah. Legitimising Rejection: International Refugee Law in Southeast Asia. Leiden: Brill, 2007 pour une analyse de leur refus d'être signataire de la convention de 1951 sur le statut de réfugié; voir Chantavanich, Supang, and E. Bruce Reynolds, eds. Indochinese Refugees: Asylum and Resettlement  Bangkok: Institutie of Asian Studies, 1988 et Sutter, Valerie O’Connor. The Indochinese Refugee Dilemma. Baton Rouge: Louisiana State University Press, 1990 pour une analyse du contexte politique entourant leur politique sur les réfugiés.
  9. Pour une analyse des pays du Sud-Est asiatique et leur réticence à se joindre à la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, voir Davies, Sarah. Legitimising Rejection: International Refugee Law in Southeast Asia. Leiden: Brill, 2007.
  10. Les autorités ne se préoccupaient pas de l’endroit où elles les envoyaient, le contexte de la guerre civile chinoise n’importait peu. Elles considéraient même les déporter vers une île, Low, Choo Chin. “The Repatriation of the Chinese as a Counter-Insurgency Policy During the Malayan Emergency.” Journal of Southeast Asian Studies 45, no. 3 (2014): 363–92. Sur la mobilisation de la diaspora chinoise dénonçant ces “atrocités,” voir Peterson, Glen. “Sovereignty, International Law, and the Uneven Development of the International Refugee Regime.” Modern Asian Studies 49, no. 2 (2015): 439–68.
  11. Voir Kaur, Amarjit. “Refugees and Refugee Policy in Malaysia.” UNEAC Asia Papers 12–19 (2007): 77–90.
  12. Lipman, Jana K. In Camps: Vietnamese Refugees, Asylum Seekers, and Repatriates. Berkeley: University of California Press, 2020, pp. 56–66. Cet argument est également soulevé, mais vient appuyer de manière secondaire le refus de la Malaisie, le nombre grandissant des arrivées constituant l'argument premier dans Stubbs, Richard. “Why Can’t They Stay in Southeast Asia? The Problems of Vietnam’s Neighbours,” In Southeast Asian Exodus: From Tradition to Resettlement, edited by Elliot L. Tepper. Ottawa: Canadian Asian Studies Association, 1980, pp. 115–24.
  13. UNHCR/F11/2/39_391_39d. “Consultation With Interested Governments on Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Background Note, 29 November 1978,” § 20.
  14. (1979), ‘Refugees Face Guns At Pier in Malaysia’, The New York Times, 25 mars.
  15. UN/Kurt Waldheim Files/ S-0990/ 0005/06 ‘Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Brief Prepared for the Secretary-General By UNHCR, 12 April 1979’, §6.
  16. Ibid. §7.
  17. (1979), ‘100 Vietnamese Refugees Drown’, The New York Times, 3 avril.
  18. UN/Kurt Waldheim Files/ S-0990/ 0005/06 ‘Refugees and Displaced Persons in South East Asia, Brief Prepared for the Secretary-General By UNHCR, 12 April 1979’, §7.
  19. Kamm, H. (1979), ‘Malaysia is Said to Drop Plan to Fire on Refugees’, The New York Times, 17 juin.