LA CONFÉRENCE DE JUILLET 1979

PHI-VÂN NGUYEN

janvier 2020


Le texte qui suit est une traduction libre effectuée par Simon Boily à partir de la page web https://boatpeoplehistory.com/rssen/timeline/jul79-conference/

Après avoir entendu les déclarations des pays du G7 et de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), le Secrétaire-Général prit une décision. Il organisa une conférence sur les réfugiés de l’Asie du Sud-Est à Genève. Soixante-cinq nations y assistèrent. Leurs objectifs par rapport la crise des réfugiés et le conflit armé étaient différents les uns des autres. Mais, ils s’accordèrent sur une réponse multilatérale à la crise. Les états de l’Asie du Sud-Est acceptèrent de donner de l’asile temporaire alors que d’autres états offrirent des places d’accueils. Comment la conférence parvint-elle à un consensus ? Le public avait de grandes attentes au sujet de ce sommet. Les avis les plus critiques doutaient de la capacité de cette réunion d’aboutir à une solution. La conférence fut tout de même couronnée de succès. Elle fournit une réponse efficace et durable à l’urgence humanitaire. Elle parvint aussi une réponse bien dosée vis-à-vis l’occupation du Cambodge. Elle punit le Vietnam sans continuer à compromettre l’intégrité territoriale de la Thaïlande.

Attentes élevées du public

L’annonce d’une conférence sur les réfugiés de l’Asie du Sud-Est attira beaucoup d’attention. Le public en espérait beaucoup. Des membres de la diaspora vietnamienne, laotienne et cambodgienne se mobilisèrent afin de susciter une prise de conscience par rapport à la crise des réfugiés. À Paris, des Khmers et des Vietnamiens organisèrent des manifestations sur le Champ de Mars. Ils voulaient convaincre le gouvernement français d’accueillir plus de réfugiés. Des associations ailleurs poussèrent aussi leurs gouvernements à protéger ces réfugiés. Le jour précédant la conférence, un groupe aux États-Unis acheta un espace publicitaire sur une page entière dans le Washington Post. Le texte exhortait les représentants au Congrès d’augmenter les quotas d’accueil.12

Les membres de la diaspora exprimèrent aussi leurs opinions politiques vis-à-vis la crise. Des Vietnamiens brandirent l’ancien drapeau de la République du Vietnam déchue. Des Khmers en France envoyèrent des pétitions à Kurt Waldheim. Elles demandaient l’invitation d’un représentant khmer à la conférence. D’après eux, ni la République Populaire du Kampuchéa ni le Kampuchéa démocratique ne pouvait les représenter. Seul le prince Sihanouk pouvait incarner le peuple Khmer.3 Les réfugiés n’étaient pas des victimes passives fuyant la persécution. Dans le contexte de la formation disputée des états en Asie du Sud-Est, ils formaient presque un État-nation alternatif.

Pour tous les autres, une conférence à Genève n’était pas un bon moment pour effectuer des demandes politiques. Effectivement, la crise des réfugiés transcendait les divisions politiques. En France, le débat entre Raymond Aron et Jean-Paul Sartre illustra les différences irréconciliables entre la droite et la gauche. Après trente années d’hostilités, les deux philosophes allèrent ensemble rencontrer Giscard d’Estaing pour demander une action de la France par rapport aux réfugiés. Aron, en se rappelant de cette courte trêve, voyait dans les yeux de Sartre que la querelle n’était pas terminée.4 Sartre quant à lui, trouvait que le travail avec des intellectuels bourgeois était justifié si le but ultime était de défendre les droits humains.5 Des ennemis idéologiques pouvaient donc surpasser leurs différends pour porter secours aux réfugiés.6 Aux États-Unis, la réponse humanitaire apportée aux réfugiés réunit aussi la gauche et la droite. Pour des raisons différentes, les défenseurs progressistes des droits humains et les néoconservateurs encouragèrent tous deux la protection des réfugiés.7

Comme les groupes politiques opposés dans ces pays, cette rencontre internationale pouvait surpasser l’animosité des états et servir l’intérêt des droits humains.8 Cependant, des experts plus chevronnés avaient de la peine à croire à ce consensus.

Pessimisme médiatique

Plusieurs spécialistes craignirent que la conférence allait se finir en impasse. Les nouvelles télévisées françaises prédisaient l’aggravation des tensions entre les états présents. La possibilité d’un âpre débat se faisait aussi ressentir lorsque le Secrétaire général rencontra des représentants du Laos et de l’Union soviétique, qui s’opposèrent à leurs statuts d’observateurs.9 Même après que les représentants prirent la parole, personne ne pouvait affirmer que des engagements fermes de financement et d’allocations rapides de ressources allaient suivre.

L’équilibre entre les intérêts humanitaires et politiques

La campagne médiatique que lancèrent le Royaume-Uni et les États-Unis quelques semaines avant la conférence eut un grand impact. La plupart des états firent des propositions fermes, comprenant un nombre précis de places d’accueils et un montant d’argent précis pour le HCR. La conférence ne fut pas une succession de déclarations vagues. Les journées suivantes, les états se rencontrèrent en groupes de travail afin de finaliser les détails de leurs contributions.

La conférence donna aussi une réponse efficace aux états de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). La création des centres de traitements spéciaux n’engagea pas ces derniers à protéger la population qui arrivait. Le HCR garantit aussi, dans un accord formel, qu’il n’y aurait pas de cas résiduels. De plus, cette solution leur permit de demeurer désengagés de la Troisième Guerre d’Indochine. Contrairement à la Thaïlande, qui s’alignait avec les intérêts américain et chinois, plusieurs pays de l’ANASE demeuraient méfiants vis-à-vis de Pékin. L’opposition du Vietnam à son voisin du nord leur rendait un fier service. Plusieurs croyaient que le Vietnam servait désormais de zone tampon contre la Chine.10 Le succès de cette conférence signifiait qu’ils n’avaient pas besoin s’impliquer plus profondément dans le conflit armé pour recevoir l’aide humanitaire dont ils avaient besoin.

Cet équilibre fonctionnait pour les États-Unis aussi. Après tout, la conférence tentait de trouver un terrain d’entente. Washington devait punir l’invasion vietnamienne du Cambodge sans aggraver le conflit. Washington ne voulait pas créer une alliance anti-vietnamienne comme le souhaitait la Chine puisque cela amènerait le conflit jusqu’en Thaïlande.11 La protection des réfugiés était un compromis parfait. Elle infligeait un coup psychologique au Vietnam et à l’Union Soviétique. Ce geste symbolique fut effectif puisqu’une grande portion de la communauté internationale y participa. Il demeura cependant suffisamment léger pour éviter une détérioration du conflit armé.


CE QUI SUIT


References

  1. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_d. Full Page Advertisement of the Refugee International’s Message to the Senators and Representatives of the U.S. Congress published in the Washington Post, 19 juillet 1979.
  2. Sur l’activisme de la diaspora vietnamienne, voir Lipman, Jana K. In Camps: Vietnamese Refugees, Asylum Seekers, and Repatriates. Berkeley: University of California Press, 2020.
  3. UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_b. Pétition des Khmers réfugiés, Paris France à Son Excellence Kurt Waldheim, 10 juillet 1979, UNHCR/F11/2/39_391_46_GEN_b. Pétition des Khmers réfugiés, Vénissieux France à Son Excellence Kurt Waldheim, 13 juillet 1979.
  4. Aron, Raymond. Mémoires. Paris: Julliard, 1983.
  5. Paoli, Paul-François. “Jean-Paul Sartre / Raymond Aron : Le Match du siècle.” Le Figaro, 4 août 2017.
  6. Ce mythe persiste aujourd’hui dans plusieurs récits français de la crise des réfugiés de l’Asie du Sud-Est. Voir Jallot, Nicolas. “L’île De Lumière, Quand La France Sauve Les Boat People.” (2017): 65 min.
  7. Bon Tempo, Carl. Americans At the Gate, the United States and Refugees During the Cold War. Princeton: Princeton University Press, 2009.
  8. Pour cette interprétation de la conférence, voir Waldheim, Kurt. In the Eye of the Storm, a Memoir. Bethesda: Adler & Adler, 1986.
  9. Pour des détails sur cette question, voir l’article à venir dans le Journal of K studies.
  10. C’était leur position en avril 1979, FRUS 1977–1980 Volume XXII Southeast Asia and the Pacific. “Telegram From the Embassy in Indonesia to the Department of State, 24 April 1979.” 460–65.
  11. Margaret Thatcher Foundation/PREM19/604 f209. “Vietnam: Fco to Ukmis Geneva (“meeting With Vice-President Mondale: Indo-China Refugees” [Account of Carrington’s Discussion With Mondale], 20 July 1979.”