LE RÔLE DU CANADA DANS LA CRISE DES RÉFUGIÉS

Débats sur les réfugiés indochinois dans le Globe and Mail,
1975-1995

HANNAH KLOS

juin 2020


Le Canada n’eut jamais de lien en particulier avec le Vietnam. Au contraire des États-Unis, il n’a jamais combattu dans ce pays. Cependant, lorsque des centaines de milliers de réfugiés quittèrent le pays après 1975, le Canada mit en place deux catégories d’accueil pour les réfugiés.1 Cette politique d’accueil constitua un changement important, que la presse canadienne rapporta en détail. 

Plusieurs recherches se sont intéressées à la couverture médiatique des journaux canadiens de manière générale. D’autres ont analysé l’impact de certains événements spécifiques, tels que l’affaire du paquebot Hai Hong ou l’opinion publique québécoise sur l’arrivée massive de réfugiés indochinois.2 Cependant, il n’existe pas d’étude précise nous permettant de comprendre comment ces journaux ont raconté la crise des réfugiés sud-est asiatique, ni comment cette couverture journalistique s’est transformée dans le temps. Que nous révèlent ces choix éditoriaux et quels sont les enjeux reliés à la protection des réfugiés ?

Un premier volet de notre recherche a analysé la fréquence des articles et l’emploi de certains mots-clés (réfugié, boat people ou migrant) pour parler de la crise entre 1975 et 1995.3 En comparaison avec le New York Times, le Globe and Mail, journal canadien quotidien connu pour avoir des journalistes réputés,4 fit un choix éditorial singulier. Contrairement au New York Times qui diffusait des éditoriaux engagés de manière soutenue, le Globe and Mail publia de très nombreuses lettres à la rédaction, lui permettant de devenir un forum de discussion plutôt que l’organe de propagation d’une vision politique. Ce chapitre poursuit cette étude pour analyser plus en profondeur, trois débats propres à la société canadienne qui se dégagent à partir de la question des réfugiés indochinois : la question de l’accueil des réfugiés, celui de leur statut comme réfugié ou comme immigrant, et celui du rôle du Canada dans le monde. 

On peut aussi observer que la couverture du Globe and Mail s’est articulée autour de trois périodes. La première période, entre 1975 et 1978, se caractérise par des débats sur le devoir du Canada d’accepter des réfugiés indochinois. Lors de la seconde, entre 1978 et 1988, le nombre de réfugiés admis suscite une controverse majeure, polarisant la population canadienne. Dans la troisième période, allant jusqu’en 1995, on constate un déclin rapide de l’intérêt porté aux réfugiés sud-est asiatiques.

1975-1978 : Le Canada et les réfugiés du communisme

En 1975, dans le Globe and Mail, il y eut 127 articles en première page qui portaient sur le Viêtnam. Les actualités, au début de 1975, portèrent essentiellement sur l’avancée des communistes vers Saigon et leur prise de contrôle du pays. Lors de la chute de Saigon, les États-Unis accueillirent de nombreux réfugiés et ils demandèrent au Canada d’en accepter aussi. Ottawa accepta 3 000 réfugiés vietnamiens.5

En 1975, les réfugiés vietnamiens n’étaient encore pas ce que nous appelons parfois des ‘boat people’. Ce terme fut utilisé pour la première fois en 1976 pour décrire les premiers réfugiés indochinois qui s’échappaient de la région en bateaux. Dans un article publié le 2 mai,6 le Globe and Mail prit un ton factuel pour parler de l’arrivée des réfugiés vietnamiens. Mais il conclut cependant : « [w]e will have to take our fair share of people who might not be able to make their own way,’ […] ‘That is what a refugee movement is all about. » En dépit de la distance entre les deux pays, le Canada devait venir en aide aux réfugiés. Dans les semaines suivantes, d’autres articles furent publiés sur les nouveaux arrivants, soulignant le fait que la majorité des réfugiés avaient de la parenté au Canada.7

En dépit du peu de réfugiés accueillis par le Canada, il y eut déjà plusieurs lettres à l’éditeur ou articles éditoriaux qui nous révèlent quelles étaient les réactions de différents groupes de la société. Des lettres à l’éditeur exprimèrent une opinion négative sur l’arrivée des réfugiés vietnamiens. La décision du Globe and Mail de les publier, nous montre que l’accueil des réfugiés ne devrait pas être pris pour acquis et qu’il devait susciter un débat. Certains Canadiens trouvaient que la responsabilité d’aider ces nouveaux arrivants ne devrait pas tomber sur le Canada. Par exemple, Jerry Spiegel de Hamilton, Ontario déclarait :«(w)ithin hours of Vietnam’s liberation the Canadian government has volunteered to help our poor American neighbors by absorbing 3,000 Vietnamese refugees whose flight was stimulated and at root caused by U.S. policy itself.»8 Cette lettre à l’éditeur prend un ton sarcastique et nous montre que Spiegel considère que le problème de réfugiés a été créé par les États-Unis. Par conséquent, le Canada ne devrait pas prendre 3 000 réfugiés. Spiegel insiste sur le fait que les réfugiés chiliens, persécutés depuis le renversement de la démocratie sociale par Salvator Allende, n’avaient pas reçu un traitement spécial pour immigrer au Canada. Par conséquent, les Vietnamiens ne devaient pas être privilégiés.9

"Vietnamese refugees."The Globe and Mail (1936-Current), 12 mai, 1975.
"Redemption."TheGlobe and Mail (1936-Current), 8 mai, 1975.

En revanche, d’autres Canadiens croyaient que les Vietnamiens méritaient d’être sauvés. C’était le cas des chrétiens et des enfants. Dans un éditorial, on soulignait que les Canadiens devaient accueillir des orphelins Vietnamiens et Cambodgiens. Dans cet article, on fait appel à la bonté du peuple canadien afin de pousser les personnes à agir. L’auteur déclare :«[a]t best Canada can save only a few of the children of Vietnam and Cambodia who will otherwise die. Surely every effort must be made to do that little… Canadians will be able to live with themselves if they rescue as many children as confusion will allow.»10 Dans cette citation, le mot «rescue» qui renforce l’idée selon laquelle ces personnes sont des victimes.

De plus, une publicité demande de venir en aide aux chrétiens vietnamiens, affirmant que les chrétiens seront persécutés dans un régime communiste et que les chrétiens doivent rester solidaires au nom de Dieu.11 Les victimes que le Canada devait donc secourir étaient donc avant tout des enfants, sans parents ou des chrétiens, sans église.

En réalité, le Canada n’avait pas encore accepté beaucoup de réfugiés, mais cette perspective suscitait déjà des débats. On peut voir que les Canadiens n’étaient pas unanime sur la question et que le Globe and Mail avait fait le choix de refléter cette diversité d’opinion plutôt que de prendre parti. Pour certains, on se demandait si les personnes qui quittaient le Vietnam étaient vraiment des victimes, alors que pour d’autres, on remettait en question le rôle du Canada dans cette intervention humanitaire.

1978-1988 : Le Canada vient en aide aux réfugieés

Entre 1978 et les mi-1980s, la communauté internationale prit conscience de la gravité de la crise humanitaire dans la péninsule indochinoise. Après deux rencontres internationales organisées par l’UNHCR en décembre 1978 et une autre par l’ONU, en juillet 1979, un système d’asile temporaire en Asie du Sud Est et d’accueil permanent dans des pays tiers, permit aux personnes quittant la péninsule de recevoir le statut de réfugié. Au Canada, ceci se caractérisa par la création de nouvelles catégories d’accueil,12 et une augmentation considérable du nombre de réfugiés accueillis, soit de 3 000 en 1975, à 60 000 entre 1979-1980. Le Globe and Mail doutait de l’efficacité des réunions de l’ONU parce qu’il croyait qu’un traitement plus humain était nécessaire pour résoudre la crise humanitaire.13

Au cours de cette période, les journaux utilisèrent surtout le terme boat people pour désigner les réfugiés indochinois. Le Globe and Mail semblait reconnaître que les boat peoples étaient des victimes de persécution qu’il fallait secourir. Entre 1978-1980, le journal consacra vingt-neuf articles de première page aux boat peoples. Cette actualité était donc particulièrement importante. Certains articles expliquèrent les horreurs vécues par les réfugiés et démontrèrent à quel point ces rescapés ont quitter le Vietnam au péril de leur vie. Par exemple, on évoqua le manque de nourriture et d’eau sur les bateaux. Selon un article, les réfugiés songeaient au suicide parce que la vie sur les bateaux surchargés était insupportable.14 Les dangers étaient tels qu’un article titrait : «Girl survives on wreck, but 49 others die.»15

Un article, considéra que le gouvernement du Vietnam est coupable d’avoir provoqué ces vagues de réfugiés.16 L’auteur expliqua que l’offre du Vietnam de permettre aux réfugiés de revenir au pays était hypocrite parce qu’un tel rapatriement était soumis à des conditions ridicules. On peut voir que le Globe and Mail était critique vis-à-vis du gouvernement communiste. Un autre article déclara : «the heart of the evil remains squarely in Hanoi».17 Il expliqua par la suite que le fait de s’attaquer au Vietnam n’aidait aucunement les réfugiés et que la conférence des Nations Unies avait été organisée afin de demander aux pays d’asile d’augmenter leur quota d’accueil. Il déclara que les boat peoples étaient des victimes de la pauvreté et du chauvinisme de leur gouvernement. Les mots employés pour décrire le Vietnam et la situation des réfugiés démontrent que le Globe and Mail sympathisait avec ces victimes.

L’opinion publique canadienne voulait venir en aide aux réfugiés indochinois. Cependant, il y eut malgré tout un débat à ce sujet, d’après la lecture qu’on peut faire des lettres à l’éditeur publiées entre 1978 et 1980. Des 108 lettres à l’éditeur écrites entre ces dates, quarante et une portaient sur ce débat. Plus des deux tiers de celles-ci soutenaient l’arrivée des boat people. Le choix du Globe and Mail de publier des lettres qui présentaient les deux côtés des débats sur les réfugiés démontre une volonté de permettre à toutes les opinions de s’exprimer. La section des lettres à l’éditeur devint un forum de discussion sur la question des réfugiés Indochinois. Leur contenu nous montre que ce débat n’essayait pas d’établir les sources de persécution ou la nécessité de protéger ces personnes. Ils discutaient d’abord et avant tout de l’impact de ces arrivées sur le Canada.

La protection des réfugiés commença à préoccuper plus de personnes, mais aussitôt, elle souleva la question du partage des responsabilités à l’intérieur du Canada : quel devait le rôle du gouvernement dans l’accueil de réfugiés? Quel devait être celui des provinces ou des individus? Le parrainage privé qui avait été créé pour répondre à la crise des réfugiés indochinois fut un moyen pour les Canadiens de démontrer leur soutien pour ces victimes. Le gouvernement vit le succès du parrainage privé comme une façon de diminuer la responsabilité de l’état face aux réfugiés. Le Globe and Mail se montra critique face à la position du gouvernement dans l’article «Ottawa won’t sponsor more refugees».18 Il explique que le gouvernement n’allait plus financer l’accueil d’un réfugié pour chaque personne parrainée après 1979 car le programme connut un succès inattendu. L’article critiqua cette décision, car elle revenait à remettre la responsabilité d’accueillir 50 000 boat people sur les citoyens et non le gouvernement. Dans l’article «While the refugees wait» on déclare que les individus et certains groupes canadiens, en particulier  les églises, voulaient aider les réfugiés pour prouver que la vie humaine est sacrée et méritait d’être sauvée.19 Le gouvernement du Canada devait égaler le nombre de réfugiés sponsorisés par des Canadiens jusqu’à la hauteur de 50 000, mais dans un article publié en décembre 1979, on annonça que pour 26 196 réfugiés parrainés seuls 12 000 réfugiés furent accueillis par le gouvernement canadien.20

L’affaire du National Citizens’ Coalition

Une publicité commanditée par le National Citizens’ Coalition21 en août 1979 suscita la controverse. Cette fois, ce n’était pas qu’une opinion diffusée dans le courrier des lecteurs. Un groupe acheta un espace publicitaire dans le Globe and Mail afin de diffuser leurs opinions sur la situation des réfugiés.  Au centre de ce débat se posait la question de la responsabilité qu’avaient les Canadiens envers les boat people. Selon le NCC, le gouvernement ne devait pas accepter 50 000 réfugiés Indochinois car ils pourraient nuire à la culture canadienne.

Environ un mois après l’annonce du gouvernement canadien, le NCC avait publié une publicité déclarant que le gouvernement n’aurait pas dû s’engager à prendre des réfugiés à cela sans consulter toute la population canadienne. La première annonce fut publiée le 23 août. Le lendemain, la réaction fit la première page du quotidien : «Ad on Asian Refugee Policy Racist, Atkey Says» dénonçait l’initiative du NCC.22 Selon le ministre d’immigration, Ronald Atkey, l’annonce n’était pas fiable. «Mr Atkey said last night the advertisement was ‘aimed at destroying this selfless humanitarian effort,’ and accused the coalition of presenting distortions and inaccuracies as facts.» Atkey rejeta tout ce que le NCC avait déclaré, mais plus spécifiquement le fait que l’arrivée de 50 000 réfugiés Indochinois allait engendrer l’arrivée massive de 750 000 autres personnes. La coalition répondit dans une lettre à l’éditeur de manière ambiguë.23 Elle désirait ouvrir une vraie conversation au sujet de l’admission de 50 000 réfugiés de souche asiatique. Il était nécessaire de donner aux Canadiens la chance de s’exprimer sans risquer de se faire étiqueter comme des racistes. Une multitude de lettres à l’éditeur surgirent suite à l’annonce.

"Canada's Great Humanitarian Gesture - The boat people of Vietnam."TheGlobe and Mail (1936-Current), 23 août, 1979.

Plusieurs lecteurs du Globe and Mail réagirent à cette publicité. Doug Stewart de Toronto, Ontario traita la publicité du NCC de raciste. Il s’opposa à l’annonce et exhortait la majorité des Canadiens à en faire de même. Selon lui, les seuls Canadiens à pouvoir être en accord avec l’annonce seraient eux aussi racistes : «Canadians who find a shift in our cultural pool disturbing.» Selon lui, le raisonnement présenté par le NCC était discriminatoire, car il excluait la possibilité qu’une autre culture puisse être positive pour la société.24 Le jour suivant, une résidente d’Ottawa tint des propos plus modérés. Mary Dawson expliqua que même si elle était en accord avec l’idée que les Canadiens devraient mieux connaître les réfugiés, la publicité demeurait raciste. «… to say [the refugees] can’t come here because they are Asians and will ‘destroy or completely change’ Canadian society is racist.»25

Puis, c’est la déclaration selon laquelle l’arrivée de réfugiés déclencherait une immigration en chaîne qui fut vivement critiquée. Une semaine après la parution de l’annonce, deux lettres à l’éditeur s’attaquèrent à cette idée. Le Globe and Mail fit paraître une première lettre écrite par le Sénateur John M. Godfroy. Il ridiculisa l’idée d’une migration en chaîne :  «[t]he statement that the 50,000 refugees will sponsor another 250,000 immigrants from Vietnam is ludicrous.» Le 29 septembre, une lettre à l’éditeur démontra que les arguments du NCC au sujet des changements culturels qu’une arrivée massive d’immigrants pourrait engendrer, était sans fondement et que les projections offertes étaient farfelues.26 Il devient de plus en plus clair que les lecteurs du Globe and Mail ne furent pas en accord avec les revendications du NCC.27

L’annonce fut diffusée à plusieurs reprises, et chaque fois, elle provoqua la réaction des lecteurs. Une lettre explique que l’annonce suscitait du doute qui pourrait négativement affecter les réfugiés et que le NCC ne représentait pas réellement l’avis des Canadiens.28 

Une lettre soumis par Peter Tsang, le président du Council of Chinese Canadians in Ontario, mit au défi le NCC de participer à un véritable débat public pour dissiper les informations erronées qui avaient circulé dans l’annonce. Tsang insiste d’ailleurs sur le fait que les Chinois-Canadiens ont beaucoup contribué à la société canadienne.29

"An Open Letter to Immigration Minister Ron Atkey." The Globe and Mail (1936-Current), 6 décembre, 1979.

En décembre, le National Citizens’ Coalition publia une nouvelle publicité proposant une nouvelle stratégie de communication. Elle résumait les données obtenues à partir des réponses reçues lors de leurs annonces originales.30 Cette deuxième publicité proclama que 26,7 % des Canadiens souhaitaient qu’aucun réfugié ne fut admis au Canada et que 63,6 % estimaient que 25 000 ou moins, seraient acceptables. La publicité affirma aussi que 43,6 % des Canadiens croyaient que le parrainage privé ne devait pas être permis. Ces réponses soutenaient que l’arrivée de réfugiés Indochinois n’était pas en faveur de la population canadienne, ce qui semble surprenant quand on prend en compte les lettres à l’éditeur publiées dans le Globe and Mail. Le NCC semblait publier leurs statistiques comme s’ils étaient un recensement systématique des opinions publiques et non un recueil de réponses reçues à partir de leur première publicité. 

Après cette publicité imprimée en décembre, deux autres lettres à l’éditeur parurent dans le Globe and Mail. Le 8 décembre, Brant Fotheringham, coordinateur de relocalisation de réfugiés, demanda aux lecteurs du journal s’il était vraiment possible que 63 % des Canadiens pussent être opposés à la protection des réfugiés Indochinois. Fotheringham fit la défense de politiques qui mettraient en valeur la vie humaine et espérait que les Canadiens, qui vivaient dans un pays privilégié, pussent partager ce même but. 

Dans une autre lettre, un membre du Thunder Bay Friends of Refugees déclara que le nombre 50 000 réfugiés était trop bas et que le Canada aurait pu en prendre davantage. Il se demanda pourquoi il était nécessaire d’arrêter d’accueillir les personnes qui avaient besoin d’aide. Il croyait que même si le gouvernement ne pouvait plus se permettre de payer l’arrivée de réfugiés, le parrainage privé devait lui, rester illimité. «There are still people here who want to help, and there are still people there who need that help. Why can’t we take in more?»31 Il défendit la possibilité de permettre aux Canadiens de sauver plus de réfugiés Indochinois.

Le NCC ne semblait pas considérer des boat peoples comme des réfugiés. Il montrait qu’il se souciait plus de l’intégration des boat people en tant qu’immigrants que leur sécurité en tant que réfugiés. La coalition se souciait d’abord et avant tout sur l’impact sur la société canadienne.

1989-1995 : L’importance de venir en aide aux autres réfugiés mondiale

Au cours des années 1980, l’opinion publique canadienne se laissa progressivement des réfugiés indochinois pour s’intéresser à d’autres crises humanitaires, notamment en Amérique centrale.32 En 1989, une conférence des Nations Unies réévalua la situation des boat people. Celle-ci se conclut en décidant de mettre fin au statut de réfugié en considérant les personnes arrivant dans les camps comme des demandeurs d’asile. L’événement le plus marquant de cette période fut le rapatriement forcé de Hong Kong ou les boat people furent désormais traités comme des migrants illégaux.  

Le plus grand sujet touchant les réfugiés indochinois fut leur rapatriement. Vers la fin de l’année 1989, la Grande-Bretagne décida de rapatrier des migrants vivant à Hong Kong au Vietnam pour arrêter le flux de nouveaux arrivants. Sur toute la période, un seul article démontra une certaine hostilité envers les rescapés du Viêtnam. Ce fut le seul qui déclara ouvertement qu’il y avait des personnes qui profitaient du système. Le journaliste déclara que les réfugiés «are… taxing the patience of the government [of Hong Kong], which justifiably complains that […they] have been forced to shoulder the refugee burden.»33 L’article poursuivit en décrivant les actions possibles pour accommoder les réfugiés et arrêter le flot migratoire partant du Viêtnam. Le journaliste semblait penser qu’il était désormais nécessaire de filtrer les réfugiés de ceux qui souhaitaient abuser le système.

Cependant, l’énorme majorité des articles dédiés au rapatriement se montrèrent très critiques vis-à-vis de ces mesures. Cette fois, ce n’étaient pas des lettres à la rédaction qui s’exprimaient sur le sujet. Le Globe and Mail lui-même s’opposa à la décision de Londres et fit publier des articles éditoriaux ainsi que des articles de première page.34 L’article cita le ministre Canadien des affaires étrangères : «there should not be forced repatriations, that the emphasis should be an encouraging voluntary repatriation.»35 Immédiatement après le premier rapatriement, la Grande-Bretagne décida de faire une pause. Selon un autre article, Thatcher semblait réagir à l’indignation publique qui suivit la première déportation. La Grande-Bretagne refusa d’admettre une telle interprétation.36

Un autre article fit la couverture journalistique du retour des premiers Vietnamiens dans le cadre d’un programme de rapatriement volontaire mis en place par l’UNHCR. Il évoquait le contexte hautement politique de cette crise humanitaire. «The Indochinese peninsula has been one of the principal battlegrounds on which the great international powers waged their wars of interest and ideology»37 Pour le Globe and Mail, ces personnes étaient des victimes de la politique internationale ou de la confrontation entre les deux blocs de la guerre froide. Le journaliste expliqua qu’avec la fin de l’occupation vietnamienne du Cambodge, les tensions politiques allaient dissiper. En guise de conclusion, l’article déclara que les Canadiens avaient accepté des dizaines de milliers de réfugiés Indochinois, mais que cette compassion devait désormais s’étendre à ceux qui choisirent de rester au Vietnam. La pauvreté du Vietnam devait donc être un nouveau défi de la communauté internationale. 

La couverture journalistique du Globe and Mail s’intéressa de plus en plus à d’autres enjeux. En mars 1990, un article de première page fut publié sur les réfugiés.38 Cet article fut le premier dans une série intitulée «the dispossessed» qui expliqua la situation mondiale des réfugiés. Le premier article mit l’emphase sur les réfugiés indochinois parce que c’était un événement frais dans la mémoire des Canadiens. La suite de la série se concentra sur d’autres crises humanitaires à l’étranger, démontrant que la crise indochinoise n’était qu’une partie de la situation mondiale des réfugiés. Cet article expliqua que l’UNHCR avait besoin d’appui pour aider les 15 000 000 réfugiés dans le monde. Elle souligne que la situation mondiale des réfugiés s’étend au-delà de la péninsule indochinoise.

Conclusion

L’analyse de couverture journalistique du Globe and Mail pendant la crise des réfugiés indochinois est importante parce qu’elle nous permet de comprendre les réactions des Canadiens. Elle nous permet de dégager plusieurs conclusions importantes. 

Dans un premier temps, les lecteurs du Globe and Mail débattirent pour savoir si les réfugiés vietnamiens méritaient d’être accueilli par le Canada. À partir des lettres à l’éditeur, nous avons pu conclure que certains Canadiens ne comprenaient pas pourquoi les réfugiés vietnamiens étaient plus importants que ceux d’ailleurs. L’idée d’accorder une priorité à une crise humanitaire plutôt qu’une autre ne faisait donc pas l’unanimité.  

De plus, on peut constater que le Globe and Mail fit des choix éditoriaux singuliers dans sa couverture médiatique. Le Globe and Mail fit le choix de traiter la question des réfugiés au travers des lettres à l’éditeur. Elle décida d’être un forum de discussion, mais elle négligeait par ce même choix, la possibilité de modérer le débat et de faire entendre sa voix. 

Enfin, on peut voir que les décisions d’Ottawa ont polarisé l’opinion des Canadiens. Les débats causés par les publicités du National Citizens’ Coalition en sont un exemple de cette réaction. Ces discussions nous montrent que la protection des réfugiés soulève plusieurs autres débats. La première question est de savoir à qui revient la responsabilité à accueillir les réfugiés. La seconde est de se demander s’il faut penser l’accueil des réfugiés différemment de celui des immigrants.


CE QUI SUIT


References

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  9. Ibid.
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